Les 50 ans du «Vive le Québec libre!»

Le président français, Charles de Gaulle, et le premier ministre du Québec, Daniel Johnson, chantent l'hymne national à Montréal le 24 juillet 1967.
Photo: Chuck Mitchell Archives La Presse canadienne Le président français, Charles de Gaulle, et le premier ministre du Québec, Daniel Johnson, chantent l'hymne national à Montréal le 24 juillet 1967.

Dans son édition des 23 et 24 juillet 1967, le quotidien parisien France-Soir publie une caricature prémonitoire de Charles de Gaulle qui, en arrivant au Canada, se fait demander par le douanier s’il n’a rien à déclarer : « Vous me connaissez mal… » répond le président français. Sans l’humour, le livre du journaliste André Duchesne ne reconstituerait pas toute la puissance et tout le sous-entendu du cri que lancera de Gaulle : « Vive le Québec libre ! »

Nous célébrons cet été le cinquantenaire de l’événement, et le journaliste de La Presse le relate dans un style très alerte, le met en contexte et en fait ressortir les détails les plus piquants. Son ouvrage ne s’intitule pas pour rien La traversée du Colbert, du nom du navire de guerre à bord duquel le général remonta le Saint-Laurent pour débarquer à Québec plutôt qu’à Ottawa, comme l’aurait voulu le protocole qu’il se plaisait à bouleverser.

Le 24 juillet, au balcon de l’hôtel de ville de Montréal, de Gaulle insiste pour parler à la foule qui, souvent indépendantiste, l’acclame. Or nul discours n’était prévu à cet endroit, mais plutôt à la terrasse arrière, devant les seuls notables. Nationaliste qui avait toutefois en horreur toute velléité d’indépendance, le maire Jean Drapeau signale l’absence de micro. Le Général réplique : « Et là, dans le coin, ce n’est pas un micro ? » Drapeau répond : « Il ne fonctionne pas. »

Survient un technicien de Radio-Canada, qui ironiquement est un des organisateurs du Parti libéral du Québec, formation très hostile à l’indépendance. Il le rebranche. S’appuyant sur de nombreux témoignages, Duchesne dépeint parfaitement la scène : « De Gaulle jubile. Drapeau écume. » Le général s’adresse à la foule : « Ce soir, ici, et tout au long de ma route, je me suis trouvé dans une atmosphère du même genre que celle de la Libération ! »

Cette analogie très évocatrice avec la délivrance de l’Hexagone de l’occupation nazie, à l’issue de la Deuxième Guerre mondiale, prolonge la suite logique des discours audacieux prononcés par de Gaulle à Québec et dans plusieurs autres municipalités avant d’arriver à Montréal. Sur le point d’être lancé, le vivat resté célèbre en sera la conclusion aussi fracassante que nécessaire.

Dès son arrivée, au maire de Québec qui l’avait mis en garde contre les nombreuses marches de son hôtel de ville, le général avait répliqué : « Laissez-moi tomber seul. » Le Monde, le plus prestigieux journal de France et l’écho de l’opinion outre-Atlantique, résume le voyage du président ainsi : « L’excès en tout… » Même Daniel Johnson père, le premier ministre québécois unioniste qui avait invité le général, restait atterré par l’audace des discours gaulliens.

Loin du nationalisme dont de Gaulle n’était pourtant pas exempt, un mot plus moderne apparaissait en sourdine à nos oreilles retardataires : décolonisation.

La traversée du Colbert. De Gaulle au Québec en juillet 1967

★★★ 1/2

André Duchesne, Boréal, Montréal, 2017, 320 pages

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