Le Québec à la traîne quant au nombre de bibliothécaires

Montréal y est presque. Laval et Québec sont loin derrière. Mais les trois villes font pâle figure comparativement à Toronto et à Vancouver. Le Québec, dans son embauche de bibliothécaires, a toujours traîné la patte comparativement au reste du Canada, mais force est de constater que les voeux du début des années 2000 de rattraper les villes anglophones ne sont, une décennie plus tard, toujours pas réalisés. Alors qu’en 2015 Vancouver comptait l’équivalent de 2,12 bibliothécaires par 10 000 habitants, Montréal s’approchait, à 0,95, de son objectif, alors que Québec n’en comptait que 0,32 et Laval, 0,36.
En 2005, dans son Diagnostic des bibliothèques municipales de l’île de Montréal, la Ville souhaitait se positionner comme « ville de savoir » et rêvait de rattraper la moyenne des biblios des grandes villes canadiennes. Un plan de consolidation 2007-2017 a suivi cet élan, qui visait un objectif d’un bibliothécaire par 10 000 habitants, sur la population desservie par chaque bibliothèque.
Cet objectif « demeure actuel », a répondu laconiquement la Direction des bibliothèques aux demandes de discussion du Devoir, mais « aucune nouvelle décision n’a été prise quant au nombre de bibliothécaires en fonction du nombre d’habitants », puisqu’on attend le prochain Plan d’action de la Politique de développement culturel de la Ville de Montréal (2017-2022).
De plan en plan, en dix ans, tout en s’en approchant honorablement, l’objectif montréalais n’est pas encore atteint. De 0,80 bibliothécaire pour 10 000 habitants en 2010, le chiffre a crû continuellement, peu mais toujours régulièrement.
« Dans notre société de l’information, où il est de plus en plus complexe d’identifier les faits et les bonnes informations, ça prend, il me semble, de plus en plus de professionnels, de bibliothécaires, pour diriger et aider les citoyens », explique le professeur honoraire de l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information (EBSI) de l’Université de Montréal, Réjean Savard. Car il ne faut pas confondre le bibliothécaire, qui pense les collections, les services, l’animation, avec les techniciens en documentation et les commis qui reprennent vos livres, les classent, les numérisent ou vous dirigent dans les rayons — sans nullement dénigrer ces emplois, également essentiels.
« On peut bien sûr juste ouvrir des bibliothèques sans offrir de services professionnels, dans cette vision libre-service de la biblio qui n’est qu’un comptoir, sans animation, sans médiation, sans références, poursuit M. Savard, mais c’est pratiquement du gaspillage. Et ça montre qu’on n’a certainement pas compris ce qu’est une bibliothèque, ni tout ce qu’elle peut être. »
Loin derrière
Dans la Capitale-Nationale, La vision du développement de la Bibliothèque de Québec 2013-2020 notait que « Québec figur[ait alors] au dernier rang des villes canadiennes de 100 000 habitants et plus, après la ville de Laval, en ce qui a trait au nombre de bibliothécaires ETC (équivalent temps complet) par 10 000 habitants. Le réseau misera sur les économies engendrées par la transformation graduelle des types d’emplois et la modification de certaines tâches pour permettre l’embauche de bibliothécaires au cours des prochaines années. »
En 2010, Québec était à 0,21 bibliothécaire par 10 000 habitants et Laval, à 0,47. Laval, de 2010 à 2015, a baissé sa moyenne, là où Québec tente d’atteindre pour 2019 un objectif de 0,48 par 10 000 habitants, une visée bien en deçà des lignes directrices proposées par l’Association pour l’avancement des sciences et techniques de la documentation (ASTED), qui parle aussi d’un bibliothécaire par 10 000 habitants. À Laval, « les bibliothèques n’ont pas, pour le moment, d’objectifs en matière de nombre de bibliothécaires, ni le projet d’embaucher davantage de bibliothécaires à court terme. Elles travaillent cependant à l’élaboration d’un plan directeur qui viendra certainement établir des cibles à atteindre en la matière », a précisé la conseillère en communications, Isabelle Brisset des Nos.
« Un bibliothécaire pour 10 000 personnes, c’est une norme de travail acceptable, une borne norme, précise Réjean Savard. Mais remarquez qu’il y a un certain nombre d’années, on prônait davantage un bibliothécaire pour 6000 ou 7000 habitants. Ce 1/10 000 est déjà un objectif négocié, allégé, pour un Québec qui avait un gros retard — et qui en a visiblement toujours un — parce qu’on disait à l’époque que viser trop haut n’était pas réaliste. Je pense que, si on voulait rattraper l’Ontario, ça prendrait 10 ans à l’EBSI pour former des jeunes… et je ne suis même pas sûr qu’on y arriverait. »
Le professeur honoraire prédit d’ailleurs, à la suite de ce qu’il voit sur le terrain, une baisse des statistiques pour 2016, car « les finissants de l’EBSI se trouvaient avant très facilement des emplois, dont plusieurs en bibliothèques publiques à Montréal, et je les vois maintenant qui cherchent et cherchent sans trouver. Il semble y avoir beaucoup moins d’offres d’emploi de bibliothécaires, et je dirais que c’est probablement lié aux vagues de compressions budgétaires subies ces dernières années ».
Les postes de bibliothécaire chiffrés ici incluent les bibliothécaires « équivalent à temps complet ». Les données québécoises sont des données brutes tirées de Statbib, l’outil de consultation des données recueillies lors de l’enquête annuelle sur les bibliothèques publiques. Les données canadiennes proviennent du Conseil des bibliothèques urbaines du Canada.