De la nécessaire inutilité des artistes

Dans la dernière livraison de la revue Liberté (no 315, Printemps 2017), l’artiste et illustrateur Clément de Gaulejac signe un dessin désopilant mettant en scène un couple de citadins marchant le long d’une palissade pas très loin d’une usine crachant de la fumée. L’un des deux n’est pas de bonne humeur et dit : « Dérive psychogéographique, mon cul ! C’est surtout un autre de tes plans foireux en banlieue, oui. »
Il faut savoir rire des artistes, les vrais, les faux, ceux qui rêvent de l’être tout comme ceux qui le sont profondément, mais ne le savent pas encore. Et c’est ce que fait très bien depuis plusieurs années, l’auteur du Livre noir de l’art conceptuel (Le Quartanier 2011) qui poursuit aujourd’hui son exploration critique de l’univers artistique avec Les artistes (Le Quartanier). Le petit bouquin, mince en pages, mais dense en réflexions, saisit ces êtres créatifs dans leurs doutes, leurs vérités, leur dogme, leurs candeurs et surtout toutes leurs contradictions, comme cette « Léopoldine (on l’appelait Léo) [qui| était très débordée », dansant avec l’oisiveté, les bras en l’air, sur sa planche à roulettes.
« L’artiste est un mystère, résume l’auteur, joint cette semaine par Le Devoir. Il est à la fois célébré, respecté, mais aussi dénigré, traité parfois de parasite de la société. On adore le détester. Son inutilité est nécessaire. Il y a dans l’artiste une contradiction qui me plaît, une complexité qui mérite d’être affirmée », particulièrement à une époque où certains courants réactionnaires — pas seulement ceux en provenance de la ville de Québec — en font régulièrement des cibles de prédilection.
Répondre aux mensonges
« La manière la plus simple de lutter contre ça, c’est d’opposer la réalité dans sa complexité, dit Clément de Gaulejac, de laisser la pensée intellectuelle juste et honnête répondre aux mensonges et approximations. »
Mensonges ? L’artiste qui coûte de l’argent public et ne rapporte rien est le plus tenace et se nourrit autant du simplisme des uns et de la mauvaise foi des autres. « Comme toutes les activités, l’activité artistique comporte un peu de triche, dit-il. Les artistes doivent développer une langue commune pour se faire comprendre et une singularité pour se distinguer des autres. Cela amène parfois à se tromper soi-même par rapport à ses propres motivations » et à tromper les autres sur la pureté de sa vocation.
Un paradoxe dont les contours sont joliment attrapés par ces dessins qui, comme le manifeste d’Alex, à la page 51, peuvent en blesser quelques-uns, mais comme l’oeuvre de Laurence, page 95, peuvent aussi éloigner durablement la peur de s’ennuyer.