Par-delà le Printemps érable

En 2012, le leader étudiant le plus radical de la lutte contre la hausse des droits de scolarité, Gabriel Nadeau-Dubois, qui aujourd’hui entend succéder comme député à Françoise David, affirma vouloir marcher « bien au-delà de cette grève, afin qu’un jour le peuple du Québec reprenne aux affairistes et à l’argent les rênes de ce pays ». Arnaud Theurillat-Cloutier anime Printemps de force, son portrait de la jeunesse progressiste, d’un souffle semblable.
Il n’hésite pas à présenter l’ouvrage comme « une histoire engagée du mouvement étudiant au Québec (1958-2013) » et à le dédier à ceux et celles qui militent pour « le droit à une éducation émancipatrice, libre et gratuite ». Maintenant professeur de philosophie, il a pris part aux luttes entre 2005 et 2012. Il sait par expérience de quoi il traite. On le croit lorsqu’il soutient qu’il s’agit du « mouvement social le plus dynamique du Québec, si ce n’est du Canada et des États-Unis réunis ».
Pour en montrer l’éclosion nécessaire et rapide, il rappelle le retard considérable de la province en Amérique du Nord : « Sur une population de 5 millions d’habitants, seuls 23 000 jeunes étaient inscrits dans une université en 1962. » Trois étudiants de l’Université de Montréal, dont Francine Laurendeau, fille d’André Laurendeau, rédacteur en chef du Devoir, avaient vainement tenté en 1958 de rencontrer Maurice Duplessis, premier ministre du Québec.
Ils voulaient lui remettre un mémoire sur l’accession à l’université au nom de l’association de leur établissement. Celle-ci, comme le signale si bien Theurillat-Cloutier, « a ouvert la voie au syndicalisme étudiant dans la province ». Dès 1945, Le Quartier latin, journal du milieu, préconisait la gratuité scolaire. Cependant, Duplessis, par autonomisme provincial et conservatisme, refusait les subventions fédérales aux universités et toute mesure novatrice.
Révolution tranquille
On comprend que le mouvement étudiant, sans cesse renforcé, ait salué la Révolution tranquille avec ferveur. Il y participa même, souligne Theurillat-Cloutier, « en revendiquant bien plus qu’une simple politique de “rattrapage” ». Juste après avoir manifesté contre les déficiences du système des prêts et bourses, le mouvement s’est affermi en 1975, pour le Québec, comme une association nationale.
Grâce aux pressions étudiantes, le gel des droits de scolarité s’est maintenu de 1975 à 1990 pour ensuite laisser place à une hausse presque continue, contre laquelle en 2012 le Printemps érable est né. Même si la hausse est beaucoup moins fulgurante que celle qu’a connue le reste du Canada, elle ne tient pas compte du persistant retard québécois qui découle d’une infériorisation politique de plus de deux siècles.
Voilà ce que sous-entend Theurillat-Cloutier et que proclame Nadeau-Dubois, qui ont vu dans le printemps de 2012 l’éveil d’un peuple.
— Extrait de Printemps de force