La douce folie de Marie-Eve Cotton

Marie-Eve Cotton, médecin psychiatre, enrobe les drames et la détresse psychologique de ses personnages d’une forte dose d’humour.
Photo: Pedro Ruiz Le Devoir Marie-Eve Cotton, médecin psychiatre, enrobe les drames et la détresse psychologique de ses personnages d’une forte dose d’humour.

« Qui vit sans folie n’est pas si sage qu’on croit », écrivait La Rochefoucauld il y a longtemps. Marie-Eve Cotton, médecin psychiatre née en 1974, en commet peut-être une — et c’est tant mieux — en publiant Pivot, un premier roman à demi sérieux en forme de comédie psychiatrique.

Surnommé « Pivot », en référence à l’ancien animateur de l’émission Apostrophes et à sa maîtrise en littérature, Hadrien Jalbert, 44 ans, en est à son 12e séjour en psychiatrie. Il semble plus que jamais convaincu d’être victime du Système, « une organisation secrète qui disséminait l’amnésie dans le monde entier ».

Lui qui rêvait d’un destin de grand écrivain, la vie l’a plutôt réduit à un statut de « visionnaire, activiste, artiste non pratiquant et psychiatrisé de carrière ». Après avoir été cette fois accusé de voies de fait sur un humoriste de Radio-Canada, puis aussitôt déclaré irresponsable (« délire paranoïaque chronique »), Pivot doit faire son temps.

Au quatrième étage de l’hôpital Sainte-Marie, fin seul à être sain d’esprit dans l’unité psychiatrique, Pivot est habité par un persistant sentiment d’injustice — le Système a le bras long —, ses journées comme celles des quelques patients qu’il côtoie s’écoulent dans « une oisiveté sans repos qui rendrait cinglé n’importe qui ».

Il y a de tout : une infirmière hilare surnommée Passe-Partout, un colosse haïtien qui se prend pour Jésus, de vieilles catatoniques, un mégalomane hyperactif qui fait bouger les nuages. Sans oublier un sans-abri surnommé le Chat de ruelle par Pivot, suivi en permanence par un groupe de Lilliputiens invisibles, qui s’exprime en charades aussi hilarantes qu’insensées.

C’est dans ce contexte que Pivot va tomber amoureux fou (bien sûr) d’une jeune patiente inuite qui entend des voix, descendue d’un village de la baie d’Ungava. Lui sourit-elle en croisant son regard ? Il raconte à la ronde qu’ils sont fiancés ou que l’enfant qu’elle porte est le sien. Il y a toujours plus fou que soi.

Après que le lecteur a fait connaissance avec la plupart des personnages, malgré le rythme enlevé, la seconde moitié du roman s’enlise un peu. Mais de fou furieux à fêlé attendrissant, Pivot se dévoile à travers une histoire familiale singulière, à la source de la « réalité alternative » dans laquelle il baigne.

En fine observatrice, capable de compassion, Marie-Eve Cotton enrobe les drames et la détresse psychologique de ses personnages d’une forte dose d’humour. Ses dialogues résonnent aussi d’une grande justesse. Ce qui n’empêche pas qu’on y trouve une critique légère de la psychiatrie moderne, où certains médecins semblent se contenter de gaver de pilules leurs patients, avec la complicité intéressée de l’industrie pharmaceutique.

Une fenêtre ouverte sur la triste condition de ces êtres pris au piège d’un esprit malade, malgré les éclairs de lucidité.

Pivot

★★★

Marie-Eve Cotton, Vlb éditeur, Montréal, 2017, 248 pages

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