L’or bleu de la Nouvelle-France

Les pêcheries de la côte de Percé sont détruites par les troupes du général James Wolfe moins d’un an avant le siège de Québec de 1759.
Photo: Musée de la Gaspésie Les pêcheries de la côte de Percé sont détruites par les troupes du général James Wolfe moins d’un an avant le siège de Québec de 1759.

En 1534, Jacques Cartier amorce son exploration du Nouveau Monde dans un golfe du Saint-Laurent plutôt achalandé. Sur le grand banc de Terre-Neuve, le navigateur malouin découvre des flottilles de pêcheurs basques, français, anglais, portugais et espagnols. La morue est l’or bleu de l’Atlantique Nord. Elle sera l’un des piliers de l’empire français d’Amérique, souligne l’historien Mario Mimeault dans La pêche à la morue en Nouvelle-France.

Le coureur des bois fascine davantage que le pêcheur imbibé de sang et d’entrailles de morues. Dès le milieu du XVIIe siècle, le travailleur de la mer ne participe plus à l’exploration du continent américain, contrairement à son homologue des fourrures. Le modeste pêcheur joue toutefois un rôle essentiel en offrant un produit de substitution aux populations chrétiennes au cours des quelque 150 jours de jeûne imposés par l’Église.

À la belle saison, les pêcheurs européens se ruent par milliers vers le Klondike laurentien. Mario Mimeault attire plutôt notre attention sur la petite industrie canadienne de la pêche qui se met en place sous l’impulsion de l’intendant Jean Talon. « En acceptant son poste, l’envoyé de Louis XIV se donne l’objectif de faire en sorte que la possession française parvienne à l’autosuffisance, particulièrement sur le plan alimentaire », souligne l’historien du large.

Monnaie d’échange

En passant de la grande à la petite histoire, Mimeault nous entraîne dans le sillage du bien nommé Denis Riverin, l’infatigable entrepreneur qui veut fixer sur le pourtour de la péninsule gaspésienne la jeunesse coloniale attirée par la traite des fourrures. Il arpente également les établissements de Louis Jolliet, l’explorateur du Mississippi qui termine sa carrière dans le poisson sur la basse Côte-Nord et à l’île d’Anticosti.

À force de bras, le pêcheur de l’époque récolte jusqu’à 200 morues par jour à bord de navires pouvant en emporter près de 200 000 en moyenne. Le poisson vitaminé vaut davantage que la monnaie de cartes utilisée en Nouvelle-France pour suppléer au manque de numéraire. Il joue également un rôle géopolitique, les échafaudages de morues séchées permettent à la France de Louis XIV d’asseoir ses revendications sur les côtes.

À la fin du XVIIe siècle, les rivalités entre les puissances coloniales mènent à la destruction des pêcheries gaspésiennes par des corsaires anglais. Reconstruites, les infrastructures de la péninsule sont incendiées à nouveau par les troupes du général James Wolfe l’automne précédant le siège de Québec de 1759. La morue sera au coeur des négociations de paix suivant la conquête britannique du Canada. Versailles n’aurait d’ailleurs pas signé le traité de Paris de 1763 sans le maintien d’un droit d’accès sur les eaux du golfe. « Si [cette demande] avait été refusée par votre Cour, écrira le ministre Choiseul à l’ambassadeur britannique, la guerre durerait encore. »

« Les Canadiens ont cerné des sites de capture du poisson et recensé des lieux de transformation. Ils y ont bâti des infrastructures, mis en place un mode d’exploitation, établi des relations de travail et trouvé des débouchés pour leur morue. »

— Extrait de La pêche à la morue en Nouvelle-France

La pêche à la morue en Nouvelle-France

★★★

Mario Mimeault, Septentrion, Québec, 2017, 441 pages



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