
L’ailleurs dans la fiction québécoise

Partir, fuir, changer de décor, changer de vie, aller voir sous d’autres cieux si l’on y est ou qui l’on est. Plusieurs récits font de la bougeotte le carburant de leur narration.
Aller voir ailleurs si j’y suis, qui je suis. Ce pourrait être le leitmotiv du narrateur des six nouvelles qui composent Le palais de la fatigue (Boréal, février). S’il en vient à arpenter Londres et Paris, celui que l’on découvre adolescent n’a pas besoin d’aller bien loin pour vivre le dépaysement dans un premier temps. Il n’a qu’à quitter sa banlieue pour Montréal.
Traversé par une quête existentielle, ce recueil est aussi une façon pour l’auteur du Feu de mon père, Grand Prix du livre de Montréal en 2014, de poursuivre sa réflexion sur l’écriture, sur le processus de création et ses liens avec la vie. « J’écris pour voir à quoi la vie ressemble, une fois écrite », note Michael Delisle.
Quoi de mieux qu’un aéroport pour rêver d’ailleurs… Quand il ferme définitivement ses portes, comme à Mirabel, c’est toute une série de souvenirs de voyage qui remontent à la surface pour la narratrice de Montréal-Mirabel, Lignes de séparation (Leméac, février). S’impose aussi pour elle une réflexion sur son parcours de vie, et une méditation sur les frontières de sa vie, puisque cela coïncide avec une rupture amoureuse.
« Pendant des mois, le fantôme de l’aérogare lisse et close m’a permis d’arpenter la perte, de soupeser le célibat », confie dans ce récit autobiographique Marie-Pascale Huglo, dont on a tant apprécié la grâce d’écriture dans La respiration du monde, notamment.
Dans son 3e roman, L’imparfaite amitié (La Peuplade, 20 janvier), Mylène Bouchard, née en 1978 au Lac-Saint-Jean, met en scène une aventurière originaire de L’Isle-aux-Coudres qui, après un long périple, aboutit à Prague. Mariée et devenue mère, elle n’a pas perdu le goût de la bougeotte pour autant. La voilà justement qui largue les amarres à nouveau… emportant avec elle le récit de sa vie mouvementée, qu’elle compte léguer à sa fille.
De la transmission à la douleur de la mémoire: Marée montante (Alto, fin janvier), de Charles Quimper, s’annonce comme un premier roman déchirant. Un homme prend la mer, seul, après la mort de sa fille par noyade. Tandis qu’il arpente les flots, affronte les tempêtes dans l’espoir vain de se rapprocher de la petite, il revit les meilleurs moments passés avec elle lors de sa courte vie.
Dans l’horreur des autres
Ça peut arriver n’importe quand, n’importe où et à n’importe qui. Dans Des chants pour Angel (Boréal, février), 9e et avant-dernier volet de la série Soifs signée Marie-Claire Blais, ça se passe surtout aux États-Unis. Un jeune suprémaciste blanc décide d’attaquer une église noire et d’assassiner toutes les personnes réunies. Quel peu bien être l’état d’esprit de ce tueur fou ? Si on se glissait dans sa conscience…
Autre voyage, celui dans le temps auquel nous convie Micheline Lachance avec Rue des remparts (Québec Amérique, février). L’auteure du Roman de Julie Papineau nous plonge dans le contexte de la défaite de la bataille des plaines d’Abraham… à travers le regard de trois personnages féminins.
Éric Plamondon, lui, ne remonte pas aussi loin dans le passé. Mais va dans un autre ailleurs, en s’inspirant d’événements historiques dans Taqawan (Le Quartanier, avril), son quatrième roman après Hongrie-Hollywood Express, Mayonnaise et Pomme S. Nous sommes en juin 1981, dans la baie des Chaleurs, en Gaspésie, pendant ce qu’on a appelé la guerre du saumon : des centaines de policiers de la SQ débarquent sur la réserve micmaque de Restigouche…
Après Toutes celles que j’étais, inspiré de son histoire familiale, Abla Farhoud poursuit son épopée avec Au grand soleil cachez vos filles (VLB, avril). On y suit le parcours d’une famille libanaise qui, après deux années passées au Québec, retourne vivre dans son pays d’origine, avec le décalage que ça suppose. Le chez soi qui devient l’ailleurs, surtout quand on est de sexe féminin, éprise de liberté, et qu’on rêve de devenir artiste…
Ailleurs au Canada
D’ici au printemps, la maison d’édition québécoise Marchand de feuilles met à l’honneur trois jeunes auteurs des Atlantiques, à commencer par Sara Tilley. Dans son premier roman, Écorchée (en librairie ces jours-ci), cette écrivaine de Saint-Jean de Terre-Neuve nous conduit jusque dans le Nunavut, sur les traces d’une adolescente terre-neuvienne qui sera victime d’un grave malentendu culturel causant la perte de son innocence.
L’oiseau rare de la rentrée

Les cinq visages de 2017
India Desjardins, La mort d’une princesse, Éditions de l’HommeSylvie Drapeau, Le Ciel, Leméac
Robert Lalonde, La liberté des savanes, Boréal
François Blais, Les Rivières, L’Instant même
Emilie Andrewes, La séparation des corps, Druide