La Saskatchewan entre le Far West et le Grand Nord

En toile de fond, une Saskatchewan semi-rurale où l’histoire affleure un peu partout.
Photo: runran / CC En toile de fond, une Saskatchewan semi-rurale où l’histoire affleure un peu partout.

Ce premier roman traduit en français de la Canadienne Annette Lapointe est un roman qui vous secoue durement, vous tient en haleine et vous plonge dans la déprime avant de vous ramener à la surface, vers une rédemption inattendue. Un roman sombre qui n’appartient pas à la catégorie des lectures « agréables », mais un très bon et nécessaire roman, qui nous fait découvrir la Saskatchewan des petites villes périphériques, mi-endormies, mi-sauvages, où les jeunes se défoncent au crystal meth dans l’indifférence générale, quelque part entre le Far West et le Grand Nord.

Bienvenue dans la vie de Rowan Friesen, héros improbable de 26 ans, trafiquant de drogue, voleur de pharmacies et de camps de pêche qui revend son butin sur Internet. Un « travail » plus lucratif qu’il n’y paraît, puisqu’il gagne plus en un après-midi que ce que gagne en un mois son amant enseignant dans une école secondaire. Il a déjà passé cinq ans de sa vie en prison, dont 18 mois pour avoir mis le feu à son école, à 16 ans, avec Macon, son premier amant, qui sombre ensuite dans la maladie mentale.


Comprenons que Rowan est peu susceptible au premier abord de gagner la sympathie du lecteur. Une fois campé le personnage, cependant, l’histoire révèle peu à peu les détails de sa vie, autant de circonstances atténuantes qui vont expliquer d’où il vient et révéler son humanité. Mère victime d’inceste, père schizophrène, errance de quelques années avec sa mère sur la côte pacifique et épisodes de négligence grave. Retour en Saskatchewan à 13 ans, où il connaîtra son oncle et son grand-père et la vie rude des cow-boys qui font l’élevage de bétail et qui perdent souvent des doigts en maniant le lasso.

En toile de fond, une Saskatchewan semi-rurale où l’histoire affleure un peu partout : celle des Métis et du soulèvement mené par Louis Riel — « il y a cent vingt ans, c’était la guerre, par ici » —, celle des fermiers mennonites et celle des Indiens qui vivotent dans des réserves inondées en vendant dans les pawn shops pour 50 $ leurs jackets en peau d’orignal incrustés de petites perles, que Rowan va revendre à Chicago pour 800 $. Et beaucoup de crystal meth, mais ça, il n’en consomme plus car la drogue est devenue trop dangereuse — « au début, elle était l’oeuvre d’un scientifique dément ; aujourd’hui, c’est devenu juste dément et plus du tout scientifique […], une drogue concoctée à partir de pilules contre le rhume et de fertilisants agricoles », n’importe quoi pourvu que ça gèle.

Une réalité nouvelle

 

Histoire déprimante ? Loin de là, plutôt le portrait d’une réalité qui ne dit pas son nom parce qu’on ne l’a pas encore nommée, d’une jeunesse perdue qui se cherche, et d’une nouvelle sous-culture qui émerge, largement ignorée par la culture médiatique dominante. Jeux vidéo violents, musique punk et grunge (le roman est sorti en anglais en 2006), bandes dessinées où les superhéros sont devenus fous, séries télés de science-fiction et geeks qui fabriquent des robots dans leur garage.

Curieusement, l’homosexualité de Rowan n’est pas vraiment un problème ici, ce qui surprend dans ce milieu semi-rural. Plusieurs scènes de sexe sont très crues, mais n’apparaissent pas déplacées. C’est à la fois fascinant et profondément perturbant de découvrir cette jeunesse paumée qui ne semble plus croire à grand-chose. Le monde change et plus rien n’est comme avant ; ouvrez les yeux, semble nous dire Annette Lapointe, sans porter de jugement. Et pourtant, tout n’est pas noir dans ce roman qui va progressivement avancer vers plus de lumière.

Un mot sur le style d’Annette Lapointe et sur la traduction de Michel Vézina : l’auteure écrit dans une langue familière et souvent parlée, mais précise et efficace. La traduction rend bien ce style, mais force parfois le trait. Ainsi, les ados qui s’ennuient (« bored ») en anglais se « font chier » en français. On note aussi des imprécisions dans la version française qui rendent la compréhension de certaines phrases malaisée ; ainsi, « she shed her skin that year » (elle a changé de peau cette année-là) devient « elle cachait sa peau cette année-là ».

Âgée de 38 ans, Annette Lapointe a un doctorat en littérature canadienne contemporaine et enseigne l’anglais au collège régional de Grande-Prairie en Alberta. Ce premier roman (qui a été suivi d’un deuxième encore non traduit) avait été salué par la critique en 2006 et retenu sur la première liste de finalistes pour le prix Giller. Un succès que pourrait alimenter désormais son nouveau lectorat francophone.

Volé

★★★

Annette Lapointe, traduit par Michel Vézina, Éditions XYZ, Montréal, 2016, 350 pages

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