Rudi et le totalitarisme

« Sois raisonnable, Liselotte ! Lui seul peut sauver l’Allemagne… C’est notre dernière chance. Il va redonner du travail à tout le monde, on pourra enfin être fiers de notre pays. »
Rudi a cinq ans ce 5 mars 1933 quand, dans l’après-midi, pour la première fois sous ses yeux, ses parents, un couple de commerçants, se disputent. Il est question de politique. On est dans la petite ville de Zornfled, à quelques kilomètres de Munich. Le soir, à la radio, les résultats de l’élection font plaisir à son père. Le parti nazi d’Adolf Hitler vient de faire élire 288 députés aux élections législatives. Dans les semaines suivantes, une entente avec le parti Zentrum permet au futur dictateur de s’approprier le pouvoir. Ce soir-là, se souvient-il, en l’embrassant avant qu’il ne s’endorme, sa mère a laissé perler une larme sur sa joue.
Du bureau de vote à la libération des camps de la mort et au bombardement de Berlin par les Alliés, en passant par la destruction du terrain de jeu de Rudi pour en faire une autoroute, la destruction des livres de la librairie Blumenfeld et l’apparition des étoiles jaunes, Didier Daeninckx au scénario et Pef à l’illustration dressent dans ce récit pour enfants l’architecture de ce mal qui s’est installé dans une société en bridant sournoisement les résistances. Une leçon d’histoire, par les yeux d’un petit gars, comme pour éclairer autrement les dérives du présent.
Le regard est naïf quand il raconte cette interdiction faite à son copain à la peau plus foncée d’entrer dans la piscine pour ne pas la salir, quand il évoque ces trois femmes du Service de protection de la race allemande débarquant chez lui pour retirer la garde de sa petite soeur, « mentalement hors norme », ou encore ces miliciens tabassant des « mauvais Allemands » en pleine rue.
Chaque anecdote, chaque fragment de cette vie à la dérive est accompagné d’une petite capsule historique relatant la « Nuit de cristal », la glorification de la race aryenne aux Jeux olympiques de 1936, l’invasion de la Pologne, jusqu’à cette question que l’enfant va poser à son père, un homme qui croyait bien faire en allant voter quelques années plus tôt : papa, pourquoi t’as voté Hitler ?