L'autre nature de Sophie Thibault

Sophie Thibault
Photo: Pedro Ruiz Le Devoir Sophie Thibault

Le paradoxe n’épargne personne, pas même les grands. À preuve : Sophie Thibault, chef d’antenne de fin de soirée à TVA, qui côtoie l’humanité en marche tous les soirs dans le bulletin de nouvelles le plus écouté au Québec, est une grande timide, particulièrement lorsque vient le temps de mettre des humains dans le cadre d’une photo. « Je suis gênée, confie la journaliste, rencontrée la semaine dernière dans son bureau de Montréal quelques heures à peine avant son entrée en ondes. Je ne veux pas déranger les gens. Le principe de la photographie de rue, j’ai donc beaucoup de difficulté avec ça. » Témoin du présent, intimidée par ceux et celles qui l’écrivent.

Le paradoxe est totalement assumé, dit-elle. Il s’incarne aussi avec force dans les pages de Dans ma nature (éditions de l’Homme), premier recueil de photographies de Sophie Thibault, qui révèle ici une autre facette de sa personnalité publique, moins spectaculaire, plus discrète, plus contemplative, toujours aussi posée, avec un penchant pour les représentations picturales plus proches de la carte postale que du photojournalisme.

« Tous les soirs, je nage dans les horreurs, dans les conflits, les drames, les trahisons, explique la journaliste aux nombreux trophées MétroStar et Artis, élue personnalité de l’année en 2004. Avec la photographie, j’ai besoin d’aller ailleurs, vers la beauté des choses, vers la nature, vers les animaux. C’est ma soupape de décompression. Des humains ? Il y en a un peu, mais pas trop, en effet, et surtout beaucoup moins que le soir dans mon travail. »

Instagramisation du monde

 

Des paysages d’été ou d’hiver, des animaux sauvages immortalisés lors d’un safari, des natures mortes, des scènes de rue relevant du décor plus que de la vie, lustrées par la technique de la grande plage dynamique — HDR dans son acronyme anglais — qui consiste à recomposer les tonalités d’ombre et de lumière dans un cliché, le recueil photographique de Sophie Thibault promène son lecteur entre le magazine spécialisé en photographie, la collection de photos d’illustration et l’instagramisation des représentations du monde, dans un tout qui cultive un autre paradoxe, dans le chapitre intitulé Gros plan.

À cet endroit, la photographe semble en effet frayer davantage avec la part journalistique de sa personnalité, en laissant la lentille macro de son appareil photo numérique raconter le détail qui n’est pas autrement visible à l’oeil nu. Une sorte de photographie d’enquête qui attire ici le regard sur deux fourmis dévorant une sauterelle sur l’asphalte, là sur l’étonnante symétrie des formes et des couleurs des ailes d’un papillon ou sur la complexe structure géométrique d’un chou romanesco. « C’est de la pure merveille, c’est une oeuvre d’art, dit Sophie Thibault en s’arrêtant sur la page où le légume dévoile sa proche intimité. La macro, c’est la joie de découvrir une autre forme de beauté, celle du détail. » Et elle ajoute : « Je rêve de devenir photographe. Je me dis même que, si j’avais reçu un appareil photo numérique il y a 25 ans, ma trajectoire professionnelle n’aurait peut-être pas été la même. Mais je constate aussi que la journaliste en moi n’est jamais très loin. »

Dans ma nature

Sophie Thibault, Éditions de l’Homme, Montréal, 2016, 204 pages

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