La menace invisible des revenants du djihad

Appelons-la Mali. Après avoir répondu à l’appel du groupe armé État islamique (EI), être allée en Syrie, Mali est de retour en France où dans les derniers mois, elle ne rêvait que d’une chose : repartir. « Elle a pourtant connu les pires injustices là-bas, résume à l’autre bout du fil le journaliste français David Thomson, auteur de Les revenants (Seuil), essai percutant dans lequel il détaille ses nombreuses discussions avec de jeunes djihadistes partis en Syrie et en Irak, puis revenus en France. Elle a été emprisonnée, elle s’est fait confisquer ses biens, mais elle continue de légitimer les actes terroristes et voulait rejoindre la branche libyenne de l’organisation, là où, dit-elle, il y a moins de Français qui corrompent l’esprit du djihad avec leur culture des cités. » La disparition de cette branche, cette semaine, dans la foulée de la reprise de la ville de Syrte, en Libye, va la contraindre à changer ses plans.
Le recul de l’organisation terroriste donne peut-être des signes d’espoir dans des régions qui subissent depuis des années ces fanatiques obscurantistes, mais elle s’accompagne aussi d’un effet secondaire que plusieurs pays, dont la France, mais également la Suisse, la Belgique ou le Canada, ne peuvent plus ignorer : le retour sur leur territoire de jeunes partis combattre pour le groupe EI et qui reviennent chez eux désillusionnés, certes, mais toujours aussi radicalisés, estime l’essayiste, journaliste à Radio-France international (RFI). L’homme a signé en 2014 Les Français jihadistes (Les Arènes), bouquin dans lequel il relatait déjà ses rencontres avec des jeunes appelés par la guerre sainte, jeunes qu’il a côtoyés de près, après les avoir découverts en Tunisie, au coeur du printemps de 2012. Le livre, prémonitoire, laissait d’ailleurs présager la violence d’actes terroristes sur le territoire français bien avant les attentats de Paris.
« La majorité de ces revenants sont déçus, mais ils ne sont pas forcément repentis, dit David Thomson, joint à Paris cette semaine par Le Devoir. Pour eux, le projet du groupe armé État islamique conserve toujours autant sa pureté et ils sont prêts à le poursuivre. »
La part des femmes
Rien qu’en France, ces revenants sont estimés à près de 200, dont plusieurs sont des revenantes, comme Mali, Sayfa, Lena et les autres, dont il n’est plus possible de sous-évaluer l’apport dans cette étrange guerre. « Dans mes entretiens, les femmes sont dans un engagement qui est tout aussi déterminé, sinon plus, tout aussi fanatique, sinon plus, que les hommes, observe-t-il. J’ai même rencontré des couples de djihadistes dont le moteur de la radicalité n’était pas l’homme, mais plutôt la femme. »
Cette égalité dans le durcissement des idéologies a longtemps été occultée, selon lui, en raison d’un « biais de genre », d’un préjugé sexiste « qui a poussé les autorités à envisager l’engagement djihadiste féminin avec plus de clémence, le considérant davantage comme le résultat d’une soumission victimaire à la domination masculine », écrit-il dans son bouquin. « Dans un milieu ultraconservateur, dans un univers de violence, on croyait que le libre arbitre féminin ne pouvait pas s’exprimer, ajoute-t-il au téléphone. Mais il a bien fallu rompre avec cette vision l’été dernier », après que la police française eut déjoué un attentat à la bonbonne de gaz orchestrée en plein coeur de Paris par un trio de… femmes djihadistes.
Le groupe armé État islamique ne permet pas aux femmes de combattre, « mais cela ne les empêche pas de vouloir le faire », dit David Thomson en annonçant même qu’elles se préparent à jouer un rôle de plus en plus important dans la suite des opérations. « Fatalement, les femmes vont devoir combattre, parce les hommes meurent de plus en plus au combat, ajoute-t-il. Au Kenya, un attentat a récemment été revendiqué par un groupe de femmes, ce qui veut dire que le groupe EI ne le refuse plus. »
Impossible déradicalisation
Femmes, hommes, le fanatisme des revenants, écrit le journaliste, est parfois décuplé par un voyage en Syrie ou en Irak et demeure surtout insensible aux programmes de déradicalisation que plusieurs pays, dont le Canada, brandissent désormais comme argument pour rassurer et « récupérer » cette jeunesse en perdition. « Les seuls exemples de déradicalisation que je connaisse ont été le fait de cheminements personnels, dit le fin observateur de cette dérive. Les programmes gouvernementaux n’ont jamais rien donné. »
Les revenants, qui parfois sont obligés pour des raisons juridiques de s’y frotter, posent d’ailleurs dessus un regard au mieux amusé, au pire méprisant. « Aucun ne prend ça au sérieux », dit celui qui, aux fins documentaires, a été et continue à être proche de ces jeunes attirés par les appels à la haine lancés par des chefs de guerre. L’exercice le place d’ailleurs sous le regard intéressé des autorités et des services de renseignement, tout comme dans des situations délicates. « Couvrir l’actualité djihadiste, c’est aussi deviser avec une vieille source volontiers blagueuse, mais dont le travail est d’être bourreau au sein d’État islamique et qui n’hésitera pas à me menacer de mort ou à me tuer si nécessaire », écrit-il
Un risque qui, selon lui, mérite d’être couru afin d’éclairer et d’appréhender avec justesse l’ampleur du péril que représentent désormais les revenants et que les leaders de l’organisation terroriste ont résumé récemment dans un slogan, apparu en Syrie après la chute de la ville de Manbij, relate-t-il en guise de conclusion dans son essai : « Nous avons perdu une bataille, mais nous avons gagné une génération qui connaît son ennemi. »