Les bibliothèques les plus ouvertes (et fermées) du Québec

Toutes les bibliothèques du Québec sont loin, bien loin d’être égales. La comparaison des heures d’ouverture — de l’accessibilité de chaque établissement, en d’autres mots… — est un des angles d’où l’on peut observer ce grand tableau plein de disparités. Devant les horaires grands ouverts des bibliothèques Gabrielle-Roy (82 heures par semaine), Étienne-Parent (83 heures) ou Dollard-des-Ormeaux (71 heures) se trouvent des points de service comme ceux de Saint-Élie (17 heures), Hubert-Perron (5 heures) ou Montréal-Ouest (24 heures), où l’on risque davantage de se cogner le nez à des portes fermées que d’arriver à emprunter des livres. Est-ce que sortir la gestion des bibliothèques des villes permettrait d’unifier les services ?
« Les bibliothèques sont toujours les underdogs pour les villes, estime l’ex-professeur en bibliothéconomie de l’Université de Montréal Réjean Savard. C’est toujours difficile à vendre auprès des élus et des hauts fonctionnaires, et ça a toujours été comme ça. C’est un peu plus facile maintenant de faire comprendre leur importance, depuis le succès de la Grande Bibliothèque de Montréal, mais il y a encore du travail à faire. » Et le Québec est singulier, par rapport à l’Ontario ou aux grandes villes en général, laissant sa gestion des bibliothèques aux villes ou aux arrondissements plutôt qu’à une direction indépendante des va-et-vient électoraux qui permettrait une pensée unifiée et cohérente à travers le territoire.
À Montréal et ses environs, les heures d’ouverture des bibliothèques varient de 10 heures par semaine (Baie-d’Urfé) à 76 heures (Côte-Saint-Luc, qui offre davantage que les 72 heures de la Grande Bibliothèque). À Trois-Rivières, on vise davantage sur la proximité, avec des bibliothèques qui se trouvent à maximum trois kilomètres en voiture de chaque citoyen, et un pôle majeur largement ouvert, la bibliothèque Gatien-Lapointe (69 heures par semaine). « Il y a deux “ trous ” présentement dans notre façon de desservir le territoire, deux secteurs en développement, à Trois-Rivières Ouest et à l’est, et c’est là notre prochaine priorité », indique la directrice des bibliothèques, Jessie Daigle. Les huit bibliothèques de Longueuil ouvrent de 5 à 61 heures par semaine, selon l’établissement. À Gatineau, on oscille de 22,5 à 66 heures, sur dix bibliothèques ; et à Sherbrooke, de 17 à 41 heures, sur cinq établissements.
Biblio à deux têtes
Québec a cédé en 2013 sa gestion des bibliothèques à l’Institut canadien du Québec, conservant toutefois celle du parc immobilier, des ressources informatiques et des communications. La Vieille Capitale est ainsi une des quelques villes de la province dont les biblios sont gérées par un organisme à but non lucratif, comme Saint-Hyacinthe ou Lac-Mégantic, par exemple. « C’est un modèle copié sur le modèle anglo-saxon. Les citoyens n’ont certainement pas vu beaucoup de changements, mais dans les cuisines, si on peut dire, ça a maximisé l’efficacité », expliquait au Devoir Mylène Gauthier, directrice de projet de la bibliothèque de Québec.
« Ça a été un changement de culture. L’Institut canadien était peut-être plus autonome auparavant ; maintenant, il a plus de comptes à rendre, analysait Julie Lemieux, vice-présidente du comité exécutif responsable de la culture, du patrimoine et de l’aménagement du territoire. Mais les 14 millions de dollars par année qu’on investit viennent de l’argent public, c’est normal qu’il y ait une reddition de comptes. »
La culture « ville » et la culture « institution-bibliothèque » n’étant pas la même, il y a fallu harmoniser les mentalités. « Une ville va avoir tendance à mettre sa bibliothèque en contexte avec d’autres services, et à avoir une vision macro du service citoyen, résumait Mme Gauthier. L’Institut a une vision très spécialisée de la bibliothèque. Les deux points de vue s’enrichissent. » L’alliage d’un service généraliste à celui du spécialiste, finalement.
Maintenant, pour chaque arrondissement de Québec, une bibliothèque est longuement ouverte, entre 55 et… 83 heures (Étienne-Parent, à Beauport). Les horaires des autres bibliothèques du secteur sont pensés autant que possible en complémentarité, et en consultation avec les citoyens. « On souhaite que presque à toute heure, un citoyen puisse aller dans une bibliothèque de son arrondissement, même si ce n’est pas sa préférée, explique Mme Gauthier. On a très peu de jours fériés, aussi. » Sans augmenter le budget, en pensant les horaires de manière chirurgicale, les bibliothèques de Québec ont pu offrir presque 200 heures d’ouverture de plus. Et les taux de fréquentation ont suivi, Québec étant championne en cette matière depuis 2015.
Mailler les activités
À Laval, la nouvelle administration installée début 2014 est arrivée avec une volonté marquée de mieux positionner la culture, précisait le directeur des services culture, loisirs, sport et développement social de Laval, Benoît Collette. Les heures d’accueil des neuf bibliothèques ont été élargies (au moins 58 heures par semaine) — quatre d’entre elles sont ouvertes sept jours par semaine (69 heures) — et régularisées. « Le taux de fréquentation a suivi le pourcentage d’augmentation du nombre d’heures d’ouverture, effectivement », soulignait M. Collette. Est-ce à dire qu’il suffit d’ouvrir davantage pour accueillir plus d’usagers ? « On s’entend : il y a une limite. Ça ne sert à rien d’ouvrir la nuit. Mais nous, c’est un constat qu’on a fait sur notre territoire », affirmait-il.
Pour l’homme qui pense aussi les sports et les loisirs, n’y aurait-il pas une pérennité à gagner en séparant la gestion des bibliothèques de celle des arénas ? « Je suis privilégié d’occuper ce genre de poste, où on peut travailler les secteurs en complémentarité, faire des gains d’optimisation dans les services qu’on offre aux citoyens. Je crois vraiment que la culture, le sport, les loisirs, le développement social peuvent trouver des maillages de leurs activités. Et tout ça vise la qualité de vie de nos citoyens, leur épanouissement. » M. Collette soulignait toutefois l’importance d’asseoir la vision de la culture en des plans à moyen et long terme et des directions claires, afin d’éviter les effets de balancier. « Et c’est la responsabilité des municipalités de développer la culture sur leur territoire, c’est à nous de saisir cette occasion. »