Du Van Gogh dans le brouillard

Vrais? Faux? Ou vrais faux? Les dessins inédits de Van Gogh semblent surtout raconter l’histoire d’une experte aveuglée par son enthousiasme
Photo: Seuil Vrais? Faux? Ou vrais faux? Les dessins inédits de Van Gogh semblent surtout raconter l’histoire d’une experte aveuglée par son enthousiasme

La prétendue trouvaille « la plus révolutionnaire de toute l’histoire de l’oeuvre de Van Gogh » a des airs de conte de fées. Voilà qu’un objet méconnu, dont la trace est inexistante dans les archives du célèbre peintre, ressurgit du néant. Pour Ronald Pickvance, « référence fondamentale » en ce qui concerne Vincent Van Gogh (1853-1890), voir apparaître soixante-cinq dessins relève d’un véritable fantasme.

« Tout historien de l’art digne de ce nom rêve de découvrir un jour une oeuvre inconnue ou “perdue” de son artiste de prédilection », écrit-il dans l’avant-propos de Vincent Van Gogh. Le brouillard d’Arles, carnet retrouvé.

C’est une historienne de l’art digne de ce nom et autre spécialiste de l’artiste à l’oreille coupée qui assume la révolutionnaire trouvaille : Bogomila Welsh-Ovcharov. Cette professeure retraitée de l’University de Toronto a jadis piloté deux importantes expositions, Vincent Van Gogh and the Birth of Cloisonism (Art Gallery of Ontario et Musée Van Gogh à Amsterdam, 1981) et Van Gogh à Paris (Musée d’Orsay, 1988) — dans ce cas, comme co-commissaire.

C’est elle qui prétend que les dessins qu’on lui a présentés « un jour du mois d’août » sont de la main de Van Gogh. Ils seraient restés secrets depuis 1890 et auraient été conservés par leurs propriétaires successifs dans l’ignorance de leur provenance.

Regroupés dans un livre comptable qu’on désignait au XIXe siècle par le terme « brouillard », les croquis « nous révèle[nt] le Van Gogh dessinateur sous un nouveau jour », capable de manier le calame, « un outil subtil et polyvalent [qu’il taillait lui-même] dans les roseaux qui poussaient en abondance dans les environs d’Arles ».

« On ne connaissait l’existence d’aucun carnet d’Arles ou de Saint-Rémy. On pensait qu’il n’existait ni dessins préalables ni études de [cette période] », selon l’étude publiée au Seuil et soutenue par la reproduction intégrale du brouillard.

La thèse de Welsh-Ovcharov pour faire de cet album l’ouvrage manquant de la fin de vie de l’artiste néerlandais s’appuie sur un second document, (re)trouvé avec le premier. Le « carnet du Café de la Gare », journal tenu par un employé de ce commerce arlésien, indique qu’un recueil de dessins destiné aux propriétaires a été déposé « de la part du peintre Van goghe » (sic).

Des imitations

 

Le conte de fées, Paul Maréchal n’y croit pas. Le conservateur d’art chez Power Corporation et chargé de cours à l’UQAM est convaincu que la chercheuse torontoise a été aveuglée par son enthousiasme.

« Elle s’est enfermée dans sa certitude, dans son fantasme. C’est typique d’une histoire de Cendrillon, comme si un portrait de Rembrandt pouvait se trouver dans un grenier. »

L’histoire de l’art, rappelle ce spécialiste du marché, est une science, non une affaire de goûts. Lorsqu’il s’agit d’attribuer des oeuvres à un artiste décédé, il faut se fier à ceux qui ont autorité en la matière. Dans le cas présent, il s’agit du Musée Van Gogh.

L’établissement néerlandais a affirmé que les dessins du brouillard d’Arles n’étaient pas de Van Gogh. Cela suffit à Paul Maréchal. De plus, signale-t-il, le catalogue raisonné de l’artiste recèle une masse de dessins qui servent de comparables.

« Les [nouveaux] dessins sont tellement grossiers que, même sur photo, on constate que ce sont des imitations », estime-t-il.

Des trous

 

« Sur la base de photographies de grande qualité reproduisant 56 des 65 dessins, nos chercheurs et conservateurs ont conclu [en 2008 et en 2012] qu’ils ne peuvent être attribués à Vincent Van Gogh. Leur avis n’a pas changé après examen en 2013 de certains originaux et après lecture de la récente publication », affirme le musée, par voie d’un communiqué en anglais.

Lors d’un court entretien au téléphone, le chercheur en chef Louis van Tilborg a été formel. « Il faut expliquer les différences entre les corpus connus et ceux-ci. Il y a des trous dans l’argumentaire [de Welsh-Ovcharov]. On n’explique pas l’évolution de la réflexion de l’artiste. Nous étions prêts à en débattre, mais ça ne servirait à rien », commente-t-il.

Le style des dessins, l’encre utilisée et même des erreurs topographiques ont mené les experts d’Amsterdam à conclure à des faux Van Gogh. Eux qui ont eu accès au document complémentaire avant la publication du Seuil soupçonnent l’éditeur d’avoir supprimé des pages qui auraient remis en question son authenticité.

« Dans quelle mesure ce document est-il fiable si exactement la même déclaration peut être trouvée à deux dates différentes ? » lit-on dans Le Figaro.

Le contre-pouvoir

 

Deux semaines après le lancement du bouquin, l’éditeur Bernard Comment ne comprend pas « l’hostilité et la virulence » du Musée Van Gogh, qui s’acharne, selon lui, à tuer un livre pour conserver son monopole.

« Je ne conteste pas leurs connaissances. Je conteste le monopole », prétend le patron du Seuil, depuis ses bureaux parisiens.

« Bogomila Welsh-Ovcharov a voulu les rencontrer [en 2013] pour entamer un dialogue, poursuit-il. Mais elle a été mal reçue. »

C’est cette attitude qui dérange M. Comment. S’il a accepté de publier la recherche de Welsh-Ovcharov, c’est que c’était son devoir.

« L’édition est un contre-pouvoir devant un cas de monopole et une fin de non-recevoir, affirme-t-il. J’ai l’impression qu’on arrive à la confrontation de deux paradigmes, entre la certitude absolue des uns et les nouvelles hypothèses qui reconsidèrent Van Gogh. »

Imprimé à 45 000 exemplaires en français, en anglais, en allemand, en néerlandais et en japonais, Le brouillard d’Arles n’est pas une opération mercantile, assure la maison d’édition. Production coûteuse et risquée, la publication, espère-t-on, fera avancer le débat et aura une incidence sur l’avis des autorités. Bernard Comment se fie à son oeil.

« Une chose qui me choque, c’est l’insistance à considérer les dessins faibles, pas beaux. D’où ils affirment ça ? Moi, je les trouve magnifiques. »

Si seulement l’histoire de l’art pouvait être une question de goût.

Vincent Van Gogh. Le Brouillard d’Arles, carnet retrouvé

Bogomila Welsh-Ovcharov, Seuil, Paris, 2016, 288 pages

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