L’autre Mitterrand

François Mitterrand et sa maîtresse Anne Pingeot
Photo: Gallimard François Mitterrand et sa maîtresse Anne Pingeot

« Je te quitte, heureux, heureux, et, oui, en paix (et pourtant je ne suis pas encore détaché du bonheur de ces dernières nuits, avec toi, ton souffle et celui de l’océan qui, par moments, emplissait notre chambre). »

À l’occasion du centenaire de la naissance de l’ancien président français François Mitterrand, Gallimard a publié les 1200 lettres qu’il a envoyées à sa maîtresse Anne Pingeot (Lettres à Anne, 1962-1995). Il avait quarante-huit ans, elle en avait à peine vingt. Marié depuis une vingtaine d’années et père de deux adolescents, il va lui écrire en lui jurant son amour jusqu’à la veille de sa mort, en 1995. Un corpus intime qui est un peu comme la partie immergée de cet iceberg de la politique française.

Mais en parallèle à cette correspondance amoureuse, Mitterrand va aussi tenir une sorte de journal durant les cinq premières années de leur relation. Le Journal pour Anne, paru en même temps que les lettres, en est le fac-similé.

Sur vingt-deux blocs de papier à lettres (du vélin de France de chez G. Lalo, pour les amateurs de papeterie fine), le futur président français va noter pour elle au jour le jour ses activités, commenter l’actualité, lui exprimer son amour, et entourer ses mots de petits collages qui sont autant d’enluminures. Sept cents feuillets qui sont quelque part entre le scrap-book et le livre d’heures, assemblage quasi quotidien de publicités, dessins, caricatures et articles de journaux. Une contravention reçue. Une photo de Churchill prise lors d’un séjour sur la Côte d’Azur ou de Le Corbusier en Speedo devant son cabanon de Roquebrune. Un portrait de Dostoïevski, qui donne aussitôt à Mitterrand l’envie de relire Les frères Karamazov, « l’un des plus beaux bouquins du monde ».

D’une page à l’autre prend ainsi forme un univers intime feutré où la passion et l’amour de l’art côtoient la routine et les rigueurs de la politique — en 1965, Mitterrand est par exemple candidat de la gauche à l’élection présidentielle. Sur papier, cette histoire d’amour cachée donne aussi à voir l’ambition d’un homme conscient de laisser à la postérité la preuve de son talent.

L’ensemble, soutient l’éditeur, forme un document
« d’une importance historique majeure. Jamais on n’avait pu connaître si intimement l’esprit de François Mitterrand ni, à vrai dire, celui d’aucun grand dirigeant du XXe siècle ». Ces pages constituent un formidable autoportrait d’un homme politique particulièrement discret. Mais ce que nous donne surtout à voir ce Journal pour Anne, de façon presque palpable, à l’encre bleue, c’est la chronique discrète d’une véritable passion amoureuse.

Si on imagine bien que cette histoire a comporté sa part d’ombre — ne serait-ce que parce qu’elle a été si longtemps cachée —, il est difficile de ne pas envier un pareil bonheur, même fugace. Ils ont vécu à deux, comme l’écrit Mitterrand, « l’aventure inexprimable ».

Et ne boudons pas notre plaisir de lecteur : un jour prochain viendra où de telles correspondances écrites n’existeront tout simplement plus.

« Déjeuner chez Anna. Très bon comme toujours. Une très belle promenade dans le Marais m’a permis de revoir les lieux que tu aimes et qui furent le décor de ta vie depuis ton arrivée à Paris. Je songe souvent à ces quatre années des « Métiers d’art », à ton apprentissage: sentir, aimer, refuser, choisir, attendre, travailler, devenir. Tout de toi me passionne, mon Anne. » (Samedi, 1er mai 1965) Extrait de «Journal pour Anne»

Journal pour Anne (1964-1970)

★★★ 1/2

François Mitterrand, Gallimard, Paris, 2016, 496 pages



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