Basculer dans le vide

Dans «Au commencement du septième jour», Luc Lang a voulu raconter l’histoire d’un homme forcé de se réinventer après une dépossession.
Photo: Joel Saget Agence France-Presse Dans «Au commencement du septième jour», Luc Lang a voulu raconter l’histoire d’un homme forcé de se réinventer après une dépossession.

C’est l’histoire de Thomas, fin trentaine, marié, deux enfants, situation professionnelle brillante dans une entreprise informatique… Il aime sa femme, ses enfants, son travail.

Il a tout pour être heureux, comme on dit, l’avenir lui sourit. Surarmé, suradapté, Thomas. Et bang. Coup de téléphone en pleine nuit : Camille, sa femme, a eu un accident, elle est à l’hôpital. Dans le coma, sera-t-il amené à constater.

C’est l’histoire d’une dépossession, d’un dénuement. Et d’une lente, lente reconstruction. « Je voulais raconter comment un homme se retrouvait nu et devait réinventer son existence à partir de cette nudité, de cette fragilité », avance l’auteur d’Au commencement du septième jour, Luc Lang, rencontré à Paris.

L’écrivain français, de 60 ans, auteur d’une dizaine de romans, essayiste et théoricien de l’art, précise qu’il s’est inspiré du romancier américain Cormac McCarthy, d’ailleurs cité dans son livre. En particulier, La trilogie des confins, signé par cette référence majeure des lettres américaines, l’a beaucoup nourri. Pour plusieurs raisons. Mais surtout : « À cause du sentiment géographique de la beauté du monde dans laquelle surgit une violence inouïe de l’histoire des Hommes. »

Pari pascalien

 

Devant l’état végétatif de sa femme, ne sachant plus à quel saint se vouer, façon de parler puisqu’il est athée, Thomas, hébété, entre au hasard dans une église. Sans bien savoir pourquoi il le fait. Il a beau se dire que l’équipe médicale prend grand soin de Camille, dispose des meilleures techniques qui soient, il est tenté de demander à Dieu de favoriser la guérison de celle qu’il aime.

Croire ou ne pas croire ? Luc Lang précise qu’il ne se préoccupe pas personnellement de cette question, mais qu’il avait besoin que son héros se la pose : « Face à un accident, à cause de son caractère hasardeux, improbable, imprévisible, qui est la définition même d’un accident, face à une épreuve aussi forte de la vie, il y a la tentation d’un pari pascalien : croire, parce qu’on se dit peut-être, pourquoi pas… »

Le roman se passe en trois temps, dans trois lieux farouchement différents. Autant dire que ces quelque 500 pages, farcies de points de suspension et parsemées d’ellipses qui tiennent en haleine le lecteur tout en laissant une grande place à l’interprétation, contiennent trois romans en un.

D’abord, à Paris et à 200 kilomètres de là, Thomas, entre deux visites à l’hôpital, enquête sur les circonstances de l’accident de Camille : que faisait-elle sur une route secondaire, à la campagne, en pleine nuit ? Et pourquoi cette vitesse excessive ? Il se rend sur les lieux du drame, fouille le téléphone portable de sa femme, le GPS de sa voiture… En vain.

Place au mystère

 

Suicide, meurtre, simple accident ? L’enquête n’aboutira pas. L’auteur lui-même ne nous dévoilera pas le fin mot de l’histoire. Mystère. Il y tient. « Je ne voulais absolument pas résoudre le mystère au sens d’un roman policier anglais où tout vient à sa place. Je voulais laisser les choses ouvertes. De toute façon, face à un accident aussi grave, toutes les réponses peuvent apparaître insatisfaisantes. Au bout du compte, ce qu’on peut évoquer, c’est le hasard, la malchance. »

Ce père de quatre enfants n’a jamais perdu un proche dans un accident de voiture, mais… « J’ai des proches qui ont vécu cela à travers leurs enfants, des enfants que j’aimais beaucoup… On a beau essayer de reconstituer indéfiniment la scène, jamais on a une réponse satisfaisante. »

L’obsession du paysage

La deuxième partie du roman se passe dans les Pyrénées. Autour d’une bergerie. Le frère aîné de Thomas a repris la petite entreprise familiale et il y accueille son neveu et sa nièce en espérant que le grand air, la proximité avec la nature et les animaux vont leur permettre de se ressourcer, de se remettre un peu de l’absence de leur mère. Besoin de faire le vide, besoin de se confronter au danger, à la mort… le père des enfants, de son côté, va se lancer dans une escapade en solitaire dans les hautes montagnes.

Descriptions de paysages à couper le souffle, obsession maniaque du détail. Ce n’est pas nouveau chez Luc Lang, dont le premier roman, en 1988, avait pour titre Voyage sur la ligne d’horizon. Dix-huit ans plus tard, il publiait La fin du paysage. En fait, presque partout dans ses livres, le paysage occupe une place de choix. Il s’en explique, lui qui pratique la marche en montagne depuis fort longtemps, y compris avec ses enfants : « C’est par le paysage que je fais passer les états mentaux et affectifs de mes personnages. Le paysage devient une espèce d’empreinte du regard de celui qui le traverse. »

Le berceau de l’humanité

La troisième partie d’Au commencement du septième jour nous transporte au Cameroun, où le héros va rejoindre sa soeur médecin. Là-bas, il sera confronté à un secret de famille qui pèse sur lui comme une ombre. Il va aussi devoir se colleter avec la chaleur écrasante, la misère, la violence terroriste de Boko Haram : l’envers de son monde.

Luc Lang connaît bien la région. Il est allé plusieurs fois au Cameroun, la première au tournant des années 1990, alors qu’il se préparait à écrire un roman sur l’immigration africaine en Angleterre, Liverpool marée haute.

Comme le héros de son nouvel ouvrage, il a fait de la prison là-bas, sous de fausses accusations d’espionnage. Mais là n’est pas l’essentiel, insiste le romancier, qui fait vivre à Thomas, de plus en plus dépouillé, désarmé, nu, tout un choc de culture.

« Pour nous, Européens, dit le romancier, l’Afrique, c’est le grand Sud, à cause de notre histoire coloniale. C’est aussi le berceau de l’humanité. Il fallait que mon roman se termine là-bas. »

Là-bas, son héros va trouver la vérité. « Une vérité partielle, bien sûr », précise Luc Lang. « Mais Thomas ne reviendra sans doute pas les mains vides », conclut-il.

Au commencement du septième jour

Luc Lang, Stock, Paris, 2016, 540 pages

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