Entre attentisme et tendresse

Mario de Carvalho, écrivain portugais émérite et prolifique, a habitué son lectorat à une oeuvre lucide, portant un regard ironique sur le monde. Avec Le salon Magenta, il signe un roman mature où le désenchantement côtoie la tendresse.
Gustavo, cinéaste sans projet, amant sans maîtresse, dont les plus beaux jours semblent appartenir au passé, est agressé par des gens dont on ne sait rien. « Très mal en point et contrarié », il part en convalescence chez sa soeur, Marta, qui le couve de l’amour d’une mère et tente de le remettre au monde.
Au calme près des eaux mourantes d’un étang, le Lagoa Moura, il replonge dans « ses souvenirs lancinants », ressassant une vie faite de moeurs légères et nourrie par le désir d’une postérité. Les épisodes charnels y sont nombreux, faisant défiler un régiment de maîtresses. Chaque fois, cet antihéros moderne semble à la remorque de leur désir, « mû par la seule curiosité de savoir si ce qui suivrait était aussi prévisible qu’il l’avait supposé ».
De ce chapelet de femmes, une seule composante l’a vraiment fait chavirer : Maria Alfreda, femme libertine et décomplexée, qui a partagé avec Gustavo quelques « parenthèses d’intimité ». Elle continue de le hanter. Il ne peut l’imaginer « ailleurs que dans les décors où il l’avait connue, aimée et haïe, un salon avec une grande baie vitrée », le salon Magenta.
Carvalho nous offre ici des personnages parfois dérisoires, mais toujours présentés avec empathie. Leur ridicule tue, mais il fait sourire aussi. Et même si l’ironie va finir par triompher, jamais sa plume ne bascule dans le cynisme. Elle se concentre sur l’idée que la vie, peu importe où elle mène, vaut toujours le coup d’être racontée. Avec poésie, cette vie bat et s’ébat dans Le salon Magenta, et on en goûte sa sueur, pris sous la canicule de Lisbonne ou de l’Alentejo.
De son propre aveu, l’auteur septuagénaire appartient « à une génération autrefois très mobilisée qui doit accepter que les choses ne se soient pas construites à la manière de ses rêves ». En effet, son roman transpire quelques espoirs déçus, mais il interpelle ceux et celles qui ont la responsabilité de mener le monde vers sa lumière. Le salon Magenta, par la posture attentiste de Gustavo, évoque l’inaction intellectuelle, cherchant à secouer une société bien-pensante qui a désappris à se salir à force de s’en laver les mains.