Le braconnier de l’image

Pierre Perrault (gauche) en 1987. Olivier Ducharme a su saisir l’aspect instinctif, très physique, très visuel des convictions de ce progressiste.
Photo: Office national du Film Pierre Perrault (gauche) en 1987. Olivier Ducharme a su saisir l’aspect instinctif, très physique, très visuel des convictions de ce progressiste.

En 2012, lors du printemps érable, Olivier Ducharme avait réentendu la voix de Pierre Perrault (1927-1999) qui disait : « La partie ne fait que commencer. » Le chercheur, qui a déjà scruté en philosophe l’oeuvre du poète et cinéaste, n’a pu résister à la tentation de lui consacrer, sur le thème de la dépossession, un essai plus intimiste, plus engagé : À bout de patience. Y résonne le mot si québécois de Perrault : « Je cherche un royaume sans roi. »

La colère du printemps érable, Ducharme en retrouve l’anticipation dans l’oeuvre sous-estimée, à la fois littéraire et cinématographique, du Perrault des années 1970. L’artiste, explique-t-il, découvrait en Abitibi, à son grand désarroi, « les cendres de l’idée de royaume ». Intitulé ironiquement Un royaume vous attend, son film documentaire illustre la disparition de l’agriculture familiale sur les dernières terres de colonisation du Québec.

Dès 1968, un autre film, Les voitures d’eau, consacré à l’agonie des goélettes artisanales sur le Saint-Laurent, avait annoncé, parce que l’on y percevait une désillusion au sujet de l’avenir, le cycle abitibien du cinéaste, commencé en 1975, ainsi que son cycle amérindien qu’inaugure en 1977 Le goût de la farine, sur la déculturation des Innus. Fidèle à l’esprit de Perrault, Ducharme se refuse à voir du passéisme dans ces sombres documentaires.

Sachant que l’artiste « garde en mémoire les traces du passé, sans jamais tourner le dos au présent », il fait sienne sa magnifique réflexion : « Un peuple sans passé n’a plus d’avenir et se dilue progressivement dans le spectacle consternant d’une fiction qui propose du pain, des jeux et des idoles. » Ducharme sait saisir l’aspect instinctif, très physique, très visuel des convictions progressistes de Perrault, qui restent souvent déroutantes pour les gens plus sensibles aux concepts qu’à la poésie.

Dans l’esprit du regretté créateur, le « royaume » tant désiré s’assimile à « un rapport fondamental entre l’homme et une géographie », mais « la subtile fissure de l’argent » détruit la vision qu’on en a, au point de le rendre inaccessible. Pour empêcher la disparition du royaume, Perrault se veut « braconnier » pour ruser avec la domination d’un capitalisme dépoétisant.

Ainsi, en décrivant de manière très critique en 1969 le défilé montréalais de la Saint-Jean à l’antenne de la télévision d’État, il se vit chasser du micro. Il s’était indigné de voir un char allégorique confondre les marsouins de son film Pour la suite du monde (1963) avec des dauphins de la Floride.

Au grand plaisir de Ducharme, exégète remarquable, cette aliénation typiquement québécoise, Perrault la retrouvera dans la condamnation sans nuances des événements d’octobre 1970, prélude lointain au printemps érable malgré leur tragique maladresse et exemple imparfait de la révolte intuitive chère au cinéaste-poète.

« La libération d’un peuple n’est pas une entreprise comptable, mais une affaire de l’âme, d’orgueil, de fierté. » Extrait de «À bout de patience»

À bout de patience. Pierre Perrault et la dépossession

Olivier Ducharme, Écosociété, Montréal, 2016, 184 pages



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