Entrevue avec Michel Moutot: les Mohawks, ces bâtisseurs d’Amérique

C’est sur les cendres fumantes du World Trade Center, en septembre 2001, que Michel Moutot, alors correspondant à l’AFP, a rencontré ses premiers travailleurs de l’acier mohawks. Et c’est dans un bar de Brooklyn, en marge de l’agitation qui régnait sur le site, qu’il s’est familiarisé avec leur histoire. C’est là qu’a germé l’idée du roman Ciel d’acier, qui relate la vie de quatre générations de Mohawks travailleurs de l’acier, de ceux qui ont construit l’Amérique, du Golden Gate de San Francisco, au pont de Québec, sur le chantier duquel des dizaines d’entre eux ont laissé leur peau.
« Pour vous dire le vrai, j’ai été extrêmement surpris que personne n’ait écrit ce roman avant moi », dit le journaliste français, qui a par ailleurs reçu le prix Louis-Hachette pour sa couverture des attentats du World Trade Center, et qui était de passage au Salon du livre de Montréal la fin de semaine dernière.
Oeuvre d’un journaliste chevronné, Ciel d’acier retrace l’histoire de ces Mohawks de Kahnawake travailleurs du ciel. Il les suit à partir de la construction du pont ferroviaire, dit pont de Kahnawake, qui chevauche le Saint-Laurent, en 1886, à la reconstruction du One World Trade Center, à la suite des attentats du 11 septembre 2001.
« Le Mohawk que j’avais rencontré dans un bar à Brooklyn s’appelle Kayle Beauvais. Son frère est devenu chercheur et il s’est occupé d’une exposition qui s’appelait Booming Out, les Mohawks construisent New York », raconte Michel Moutot. L’exposition a pris l’affiche en 2005, au musée des Indiens d’Amérique de New York.
À Kahnawake, les tours jumelles, c’étaient « leurs » tours, celles que leurs pères avaient construites.

« Comme chaque Mohawk de mon âge, j’ai grandi bercé par l’histoire de l’édification des tours jumelles, la signature, la fierté d’une génération d’ironworkers », dit John Laliberté, le narrateur du livre, un travailleur de l’acier mohawk qui aide à déplacer des poutres du brasier du World Trade Center, pour tenter de trouver des survivants après l’effondrement des tours.
Dans Ciel d’acier, la trame historique est réelle, mais les personnages sont inventés, inspirés cependant de plusieurs Mohawks que Michel Moutot a rencontrés. Elle puise aussi dans l’histoire de Brad Bonaparte, ce monteur de structures d'acier d’Akwesasne qui était à New York le 11 septembre 2001. Brad Bonaparte a participé aux efforts de sauvetage, puis, quelques années plus tard, est mort d’un cancer, comme plusieurs autres sauveteurs ayant respiré le souffle pestilentiel du brasier.
La tragique histoire du pont de Québec
Michel Moutot, dont c’est le premier roman, a aussi rencontré, à Akwesasne, un monteur de structures d’acier qui a participé à la construction des tours du World Trade Center, au début des années 1970. C’est lui qui a inspiré à Michel Moutot le personnage de Wild Bill Cooper. Dans son roman, l’histoire remonte plus loin encore, jusqu’à Manish Rochelle, le personnage d’un Mohawk de Kahnawake qui échappe de justesse à l’affaissement du pont de Québec, en 1907.
Le 29 août 1907, le pont en construction qui traversait le fleuve à la hauteur de Québec s’est en effet effondré, à cause d’erreurs de planification des dirigeants, et 76 de la centaine de monteurs de structures d’acier qui y travaillaient sont morts. Parmi eux, 33 étaient des Mohawks de la réserve de Kahnawake, qui étaient alors 38 à travailler sur le pont.
« Depuis, les mères de clan ont décrété qu’il ne pouvait pas y avoir plus d’une équipe de Mohawks à travailler sur les ponts », raconte Michel Moutot. « Et c’est encore le cas aujourd’hui, on ne trouve pas plus de six Mohawks sur un chantier. »
La construction des tours du World Trade Center, dans les années 1970, était un chantier fabuleux pour travailler, explique-t-il. D’abord, les travaux ont duré quatre ans, offrant des conditions de travail stables aux employés. En outre, le chantier ne comportait pas trop de danger, du fait que les tours étaient montées de l’intérieur vers l’extérieur, limitant l’exposition au vent et aux intempéries pour les monteurs de structures d’acier.
Car ce métier est dangereux. Lorsque les monteurs de structures d’acier vieillissent, « ils sont tous cassés, dit Michel Moutot. Ils boitent. Ils sont tous tombés à un moment ou à un autre ».
Le roman s’applique d’ailleurs à détruire le mythe voulant que les Mohawks ne souffrent pas du vertige, ce qui les aurait rendus plus aptes à pratiquer le métier de monteur de structures d’acier. En fait, les Mohawks combattent leur vertige, et ceux qui n’y arrivent pas ne deviennent pas monteurs, tout simplement. Le métier de monteur de structures d’acier est syndiqué et très bien rémunéré. C’est sans doute pourquoi on le pratique chez les Mohawks de génération en génération.
Le livre est manifestement basé sur une recherche exhaustive. On y remonte par exemple à l’origine du mot Mohawk. « Entre eux, les Mohawks s’appellent Kanienkehaka, le “peuple du silex”. Mohawk vient d’un terme utilisé par leurs ennemis ancestraux, les Algonquins. Ils les appelaient Mohowawogs, “mangeurs d’hommes”, écrit Michel Moutot. […] Quand ils sont arrivés, les premiers colons anglais et hollandais ont transformé Mohowawogs, qu’ils avaient du mal à prononcer, en une version phonétique : Mohawk. »
Michel Moutot a pris goût à la fiction. Il travaille présentement sur un autre roman historique, mettant en scène des chasseurs de baleines de Nantucket qui partent chercher de l’or en Californie.