Une mangue contre la colère des grenades

Devant l’horreur, Gaël Faye décrit la beauté, l’innocence, le rire et le jeu comme un souffle d’espoir.
Photo: Joël Saget Agence France-Presse Devant l’horreur, Gaël Faye décrit la beauté, l’innocence, le rire et le jeu comme un souffle d’espoir.

Les mots de Gaël Faye ont traversé une première fois l’Atlantique il y a trois ans, portés par le syncopé de sa voix, sur son premier album rap, Pili pili sur un croissant au beurre. Déjà, il remontait le fil des souvenirs de son pays natal, le Burundi, qu’il a quitté sous l’impulsion de la guerre civile, à treize ans. Avec son premier roman, Petit pays, récemment admis en lice pour le Goncourt, l’auteur de 34 ans revient avec tendresse sur le paradis perdu de son enfance.

Petit pays est placé sous la narration de Gabriel, âgé d’une dizaine d’années, né d’un père français et d’une mère rwandaise. Nous sommes en 1993 et, pour la première fois de son histoire, le Burundi organise des élections libres pour nommer le gouvernement. Mais au lendemain des résultats, le pays vacille. La radio joue du Wagner, sombre tradition d’un pays qui a fait de la musique classique le paysage sonore des coups d’État. Les Hutus s’opposent aux Tutsis, et le narrateur se souvient de leur discrimination basée sur l’apparence de leur nez : « J’ai entendu un élève dire : Regardez, c’est un Tutsi, avec son nez. Le fond de l’air avait changé. Peu importe le nez qu’on avait, on pouvait le sentir. »

À l’éclatement de la nation s’ajoute celui de la cellule familiale. Les parents de Gabriel divorcent, mais l’adolescent reste debout, préservé du désarroi par sa naïveté et une bonne dose de lucidité. Il veut devenir mécanicien, parce qu’il « faut savoir réparer les choses quand elles ne fonctionnent plus », dit-il.

S’il demeure fort, c’est aussi grâce aux amis qu’il rejoint à « l’impasse », leur quartier général, où ils se sont approprié l’épave abandonnée d’un Combi Volkswagen. Ensemble, ils rêvent, rigolent, se prêtent aux jeux simples mais incroyables de l’enfance : « Toucher son nez avec sa langue, décapsuler des bouteilles avec les dents du devant ou croquer du pili-pili et l’avaler sans ciller. »

Gabriel érige ce bonheur facile en forteresse. Mais l’hostilité va venir le chercher dans ses derniers retranchements. « La guerre, sans qu’on lui demande, se charge toujours de nous trouver un ennemi. Moi qui souhaitais rester neutre, je n’ai pas pu. J’étais né avec cette histoire. Elle coulait en moi. Je lui appartenais. »

Petit pays est le récit d’une dislocation : celle d’une nation, d’une famille et d’un groupe d’amis. Ce n’est pas un hasard si la bande d’enfants nomme son espace de socialisation l’impasse : leur vie y mène, irrémédiablement. Mais à l’instar du narrateur qui cherche refuge dans la littérature, le roman donne un souffle à l’espoir, s’appuyant sur la beauté, l’innocence, le rire et le jeu.

Même si le génocide rwandais traverse le récit, que la guerre civile burundaise morcelle le tissu social et empile les morts, le roman fait malgré tout sourire. Il charme aussi, par la couleur de sa langue, par ses envolées poétiques, où se confondent le bruit des armes, le chant des oiseaux et l’appel du muezzin. On glisse ainsi sur des mots où les conflits n’ont, en fin de compte, que peu d’emprise.

Le jeune auteur aurait pu rendre la violence beaucoup plus percutante. On sent, après tout, l’influence d’Ahmadou Kourouma, écrivain ivoirien, qui, avec virulence parfois, a montré l’échec des indépendances en Afrique. Mais tout comme l’avait fait son Allah n’est pas obligé (2000), Petit pays offre à l’avenir un visage d’enfant. Le roman ne se pose donc pas en devoir de mémoire, mais en ode à l’enfance. Parce que c’est avec elle que le pays retrouvera la force de ses rêves et vaincra la peur. Pour enfin rompre le cycle où la guerre, chaque fois, l’emporte.

Petit pays

Gaël Faye, Grasset, Paris, 2016, 217 pages

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