Le souvenir d’une mère par ses photos

Elle a été de la première cuvée des Belles-soeurs, de Michel Tremblay, en 1968. Elle a aussi joué du Réjean Ducharme, du Claude Gauvreau… et du Feydeau. Sa carrière au cinéma, riche de plus d’une vingtaine de films, a pris son envol avec le premier long métrage de fiction de Denys Arcand, La maudite galette, en 1972. Dans les années 1980, elle incarnait un personnage clé du téléroman féministe de Lise Payette Des dames de coeur…
Luce Guilbeault a disparu trop tôt. Elle est morte en 1991, à l’âge de 56 ans, des suites d’un cancer. La comédienne a marqué les esprits en son temps, mais comment s’assurer qu’on ne l’oublie pas ? Son fils, Ariel Borremans, a choisi de la faire revivre en photos.
En épluchant les archives de son père photographe, Guy Borremans, décédé en 2012, il est tombé sur un trésor : différents clichés de sa mère, pris par son père. Sur une période de 30 ans, de 1954 à 1984.
« Mes parents n’ont pas été très longtemps en couple, ils se sont séparés quand j’avais6 mois », précise leur fils unique, né en 1956. « Mais même une fois qu’ils étaient séparés, ajoute celui qui a toujours appelé sa mère par son prénom, Luce lui demandait de la prendre en photo parce qu’elle disait que c’était le meilleur. »
Ma mère dans l’oeil de mon père montre bien, selon ce designer graphique et directeur artistique, l’évolution de la complicité artistique entre ses parents. « Pour les premières photos, c’est mon père qui a le contrôle, c’est son esthétique à lui qui transparaît. Mais au cours des années 1960, on voit s’installer un changement à 180 degrés : Luce est devenue plus mature, en tant que femme, en tant qu’actrice. Elle prend le contrôle de la photo. Et dans les années 1980, c’est elle qui contrôle tout, lui n’est que le témoin. »
Ariel Borremans a très peu connu son père. « Après la séparation de mes parents, je l’ai revu une fois à 6 ans et ensuite à 16 ans… » C’est auprès de sa mère qu’il a grandi, à Montréal et un temps à New York. « J’ai été élevé dans les coulisses de Luce. »
Il lui donnait la réplique lorsqu’elle apprenait ses textes. « Je connaissais par coeur À toi, pour toujours, ta Marie-Lou. » Il l’accompagnait très souvent au théâtre. « C’était plus facile pour elle de m’emmener en coulisse que de faire venir une gardienne. Et à ses yeux, ça faisait partie de mon apprentissage de la vie. »
Pour les premières photos, c’est mon père qui a le contrôle, c’est son esthétique à lui qui transparaît. Mais au cours des années 1960, on voit s’installer un changement à 180 degrés: Luce est devenue plus mature, en tant que femme, en tant qu’actrice. Elle prend le contrôle de la photo.
Quand est venu le temps de mettre à exécution son projet de livre sur sa mère, Ariel Borremans a choisi de faire appel à des témoignages divers pour agrémenter les photos sélectionnées. Il ne voulait pas faire un ouvrage d’analyse spécialisé, encore moins une biographie. Il souhaitait plutôt procéder par petites touches, à la lumière des impressions recueillies chez des réalisateurs, acteurs et amis qui ont côtoyé Luce Guilbeault tout au long de sa vie.
Chemin faisant, il a intégré un récit poétique inédit de sa mère. Et un billet manuscrit qui lui est adressé, signé Réjean Ducharme. « Il lui avait laissé ce message, non daté, dans sa loge », explique Ariel Borremans.
Peur de rien
Parmi les courts témoignages qui figurent dans l’ouvrage préfacé par le comédien et metteur en scène Gilbert Turp : celui, très touchant, du cinéaste André Melançon, mort récemment. « Quand je pense à Luce, écrivait-il peu de temps avant de succomber à la maladie, me vient en tête cette conjonction, ce mariage particulier d’une grande fragilité et d’une détermination à toute épreuve. »
Mireille Dansereau, Colline Serrault, Markita Boies font aussi partie des collaborateurs. De même, Marcel Sabourin, avec qui l’actrice a beaucoup joué. Et Nicole Brossard, avec qui elle a coréalisé en 1978 le documentaire Some American Feminists.
Jacques Godbout souligne que dans la comédie musicale IXE-13, qu’il a réalisée en 1972, Luce Guilbeault « inventa et créa un personnage de lutteuse lesbienne inoubliable ». Denys Arcand raconte pour sa part que l’actrice n’avait peur de rien. Il se souvient qu’aucune comédienne à Montréal ne voulait jouer le rôle de la femme « violente, vulgaire et impitoyable » dans son film La maudite galette… sauf celle qu’il allait immortaliser par la suite dans le mythique Réjeanne Padovani.
Quant à Michel Tremblay, il nous fait revivre le temps d’un court récit les années new-yorkaises de la comédienne, alors qu’elle lui faisait découvrir avec passion, en 1969, le théâtre off-Broadway et les quartiers marginaux de la Grosse Pomme.
La curiosité, l’ouverture d’esprit. C’est sans doute ce qui caractérisait le mieux Luce Guilbeault, aux yeux de son fils. « Luce n’était jamais blasée, elle était affamée de tout », dit ce grand explorateur qui a travaillé en Europe, aux États-Unis et en Asie.