Christian Guay-Poliquin, l’hiver de force

Après un premier roman de la route bien accueilli, Christian Guay-Poliquin explore l’immobilité de la saison blanche dans Le poids de la neige. Sombre et hypnotisant.
Le roman nous plonge dans un décor où « la neige règne sans partage », un univers dans lequel les jours et les nuits se suivent et se ressemblent. À une heure de marche d’un village sans nom, installés dans la véranda chauffée d’une grande maison abandonnée, deux hommes liés par un pacte flou espèrent passer à travers l’hiver. Sans jamais savoir ce que le printemps va apporter — la liberté retrouvée ou la fin du monde.
Avec Le poids de la neige, Christian Guay-Poliquin, né à Saint-Armand en 1982, livre une suite inattendue au Fil des kilomètres, son premier roman paru en 2013 — repris en France chez Phébus avant d’être aujourd’hui réédité chez BQ. Au roman de la route vient succéder une sorte de thriller introspectif et immobile enfoui dans la blancheur de l’hiver québécois.
Le fil des kilomètres racontait le périple hasardeux d’un mécanicien travaillant dans l’Ouest canadien qui prenait la route pour aller au chevet de son père qu’il n’avait pas revu depuis dix ans. Dans un contexte apocalyptique — panne d’électricité généralisée, pénuries d’essence et de nourriture, insécurité permanente —, il entreprenait la traversée du continent vers l’est. Sur sa route, des villes à l’abandon, des communications coupées, des milices improvisées, une atmosphère de guerre civile.
Vingt mille lieues sous l’hiver
Au bout de 4736 kilomètres, le cauchemar se poursuit dans Le poids de la neige. Mais s’il se décline cette fois sur un mode contemplatif, dans la douleur et dans l’attente, il reste presque aussi tendu.
Extirpé de la carcasse de sa voiture après avoir subi un sévère accident alors qu’il était presque rendu à destination, les deux jambes fracturées, le narrateur d’une trentaine d’années passera les semaines qui vont suivre dans un état de semi-conscience, assommé par les antidouleurs, ayant perdu la notion du temps et, plus encore, le goût de la parole. « La plupart du temps, je rêvais qu’on me tenait au sol et que quelqu’un me coupait les jambes. À coups de hache. Et ce n’était pas un cauchemar. Je me sentais soudain libéré. »
Obsédé par l’idée d’aller retrouver en ville sa femme gravement malade, à qui il avait fait la promesse de revenir, le vieux Matthias a la charge de s’occuper du blessé et de sa lente rééducation. En échange, on lui a offert une place dans le convoi spécial qui doit partir au printemps vers la métropole. « Tu es mon obstacle, mon contretemps. Et mon billet de retour », lui répète-t-il, prenant soin de lui rappeler qu’il n’est ni son médecin ni son ami, encore moins son père.
Alors que l’essence est devenue rare, que les vivres sont de plus en plus difficiles à trouver, leur survie devient de plus en plus problématique. Ils se mettent à brûler tout ce qu’ils trouvent : meubles, lattes du plancher, bibliothèques, et même les livres — nous offrant au passage une magnifique scène d’autodafé.
Sans la moindre idée de ce qui se passe ailleurs, au village comme dans les grandes villes, plongés dans l’attente, enfouis dans une atmosphère qui oscille entre le ressentiment et la méfiance, les deux hommes partagent le même espace vital, tels deux animaux blessés enfermés dans une même cage. « Ici, c’est Matthias qui s’occupe de tout. C’est lui qui chauffe le poêle, qui cuisine, qui vide le pot dans lequel je fais mes besoins. C’est lui qui décide, qui dispose, qui assume. Ici, c’est lui le maître de l’espace, et du temps. »
Blanc comme l’enfer
Seuls au monde tels des naufragés, enfouis « vingt mille lieues sous l’hiver », pendant que la neige tombe et menace de tout ensevelir. « Quand on regarde par la fenêtre, on dirait qu’on est en pleine mer. Partout, le vent a soulevé d’immenses lames de neige qui se sont figées au moment même où elles allaient déferler sur nous. »
Des mois plus tard, alors que la neige se met à fondre, que des formations d’oies sauvages tracent leur route vers le nord, l’idée d’aller retrouver des membres de sa famille qui se seraient réfugiés dans leur camp de chasse fait son chemin et le pousse à reprendre la route avec ses jambes encore faibles.
Malgré cette matière plutôt contemplative, Christian Guay-Poliquin parvient à nous offrir un récit sombre et hypnotisant. Une histoire attentive à la beauté dramatique et froide du paysage, aux liens sociaux qui se disloquent, au désarroi et à la violence endormie, étouffée par l’hiver mais prête à renaître dès les premiers signes de dégel. Un hymne nordique et l’un des romans les plus forts de cette rentrée.
Extrait de « Le poids de la neige »