Mais qu’est-ce que la folie?

Quiconque a un jour sacrifié de précieuses nuits de sommeil à la rédaction d’un mémoire de maîtrise ou d’un article scientifique a sans doute déjà assimilé, dans un élan de découragement ou de lucidité, la recherche universitaire à une forme socialement acceptable de folie.
Si seulement la folie de Marie-Christine, double de l’auteure Marie-Christine Arbour et personnage principal de PsychoZe, ne se déployait que dans les frontières balisées de l’établissement universitaire et de son obsession limite monomaniaque pour S/Z, important essai de Roland Barthes décortiquant à l’aune du poststructuralisme Sarrasine, nouvelle de Balzac dans laquelle un sculpteur s’éprend d’un castra sans savoir qu’il est un homme.
Recluse dans le dénuement de son appartement, la jeune femme timorée ne nourrit pas un dialogue qu’avec les grands textes du sémiologue français, mais aussi avec le Grand Zorg, oppressante apparition phagocytant son imaginaire pour mieux la convaincre que des fascistes la pourchassent. « Tu dois combattre les NaZ. Tu vas entrer dans ta vingt-cinquième heure », lui ordonne-t-il alors que de petits personnages — produits de son esprit déréglé — constellent les murs.
Sa rencontre avec les Illuminaires, groupe de conspirationnistes justifiant leurs lubies en brandissant d’abracadabrantes et inquiétantes théories, la fera vaciller entre l’isolement total et la paranoïa schizophrène. Il est rare que la fréquentation de gens proclamant « Dieu m’a promis l’éternité. […] Oui, et la cocaïne rend éternel, je vous le dis ! Quand je me fais une ligne, Dieu me dit : “Tu t’éveilles aux idées.” » vous place sur le chemin de la santé.
La clairvoyance des fous
Rare vraie marginale au sein d’un monde littéraire québécois d’une grande sagesse, Marie-Christine Arbour livre avec PsychoZe une souveraine, bien que parfois confuse, distillation de ses thèmes de prédilection, avec à la clé un jeu de miroirs faisant apparaître le spectre de Nelly Arcan. En mettant à mal les fondements des constructions genrées, en exaltant l’ascèse que permet la pauvreté et en remettant sans cesse en question ce que signifie le mot « folie », l’auteure de Drag et de Schizo (Triptyque, 2001 et 2014) poursuit en insoumise une démarche d’une admirable opiniâtreté.
« Le remède contre la verbosité est l’épurement. Nous pensons ici, entre autres, à César, avec son style incisif. Phrases courtes, vocabulaire concis, simplicité trompeuse : voici la voie de l’avenir », écrit dans son étude de S/Z la Marie-Christine Arbour vivant entre les pages de PsychoZe. Le personnage aurait-il ici tenté de passer un message à l’écrivaine ? Si elle ne peut toujours pas se réclamer d’une quelconque sobriété, la romancière dose du moins avec plus de parcimonie le flot d’aphorismes et de formules parfois absconses qui traversaient ses premiers livres, sans pour autant que la singularité de sa manière sibylline, qui ne s’excuse pas d’emprunter à la philosophie, soit gommée.
Tout en se permettant de critiquer en filigrane une médecine moderne qui ne sait trop souvent que distribuer des prescriptions le plus rapidement possible, Marie-Christine Arbour refuse de jouer la commentatrice sociale et préfère dire ce que seuls les écrivains peuvent dire : il faut, oui, soigner la maladie mentale, mais également prendre soin de ces irremplaçables clairvoyants que sont les fous.