L’autre versant de la colline Parlementaire

Les correspondants parlementaires rapportent les faits et gestes de nos élus depuis la fin du XVIIIe siècle. Paradoxalement, ils n’ont guère laissé de témoignages de leur passage dans les galeries du salon vert devenu bleu avec la télédiffusion des débats. L’historien Jocelyn Saint-Pierre a recueilli leurs souvenirs dans le second tome de son histoire de la Tribune de la presse à Québec, de la Révolution tranquille à nos jours.
La « Tribune » regroupe les représentants des médias de la colline parlementaire québécoise depuis 1871. Elle est responsable de l’accréditation des journalistes et de la défense de leur accès aux élus de l’Assemblée nationale. En 1960, elle comptait une cinquantaine d’hommes entassés dans l’antichambre du pouvoir. Leurs machines à écrire faisaient un bruit d’enfer sous un épais nuage de fumée de cigarette.
Les anciens correspondants interrogés par l’auteur évoquent avec nostalgie la belle époque où ils pouvaient jouer au poker avec René Lévesque pour tuer le temps lors des périodes d’obstruction parlementaire. L’alcool coulait à flots. « Ça buvait, vous ne pouvez pas vous imaginer, les hommes politiques et les journalistes. Je me demande parfois comment on faisait pour passer des lois puis écrire des articles », confie Robert Mckenzie du Toronto Star. Contrairement à la Tribune d’Ottawa, celle de Québec possède toujours sa mythique distributrice de canettes de bière.
C’est dans cet univers masculin qu’est débarquée la jeune journaliste Evelyn Dumas, 19 ans, à quelques mois de l’élection de la première députée québécoise en 1961. Un demi-siècle plus tard, les femmes sont toujours minoritaires, que ce soit au salon bleu (29 %) ou à la Tribune (24 %), ce « collège de gars » dont les membres sont pourtant prompts à souligner le manque de parité hommes-femmes des partis politiques.
Jocelyn Saint-Pierre a oeuvré pendant 35 ans à la Bibliothèque de l’Assemblée nationale. Il connaît bien le microcosme unique de la colline où se coudoient les journalistes et les politiciens dans des mêlées de presse musclées. Cette proximité mène parfois au passage d’un univers à l’autre, comme ce fut le cas avec l’élection des anciens correspondants Gérard Deltell, Bernard Drainville et Christine St-Pierre.
Le dernier transfuge en date, Pierre Duchesne, présidait la Tribune en 2009 lorsque ses prérogatives ont été vigoureusement contestées par le président de Québecor, Pierre Karl Péladeau. En plein lockout au Journal de Montréal, le magnat de la presse et futur chef du Parti québécois a tenté en vain de faire accréditer des représentants du Journal de Québec au sein de l’institution qui célébrera son 145e anniversaire en novembre.
Révolution numérique
En quittant Le Devoir il y a quatre mois, Bernard Descôteaux se rappelait les moments angoissants passés devant le bélinographe, ce chaînon manquant entre le télégraphe et le télécopieur qu’il avait menacé de défenestrer lorsqu’il était en poste à Québec. C’était avant la révolution numérique qui a accéléré le travail des journalistes pour le meilleur et pour le pire.
« Plus de nouvelles, plus rapidement, ne veut pas dire nécessairement une meilleure information », prévient Saint-Pierre en s’inquiétant de la santé de notre démocratie à l’ère des médias sociaux et des journalistes vedettes. « Le Parlement a besoin que les médias s’intéressent à lui. Hélas, il est rarement présent dans l’actualité. Les chefs de parti, les ministres et les futurs ministres prennent toute la place », déplore l’historien. La nouvelle course à la direction du Parti québécois lui donnera sans doute raison.