Des fesses et des cases

L’auteure Stéphanie Leduc, derrière la bande dessinée «Dryade», estime que la bédé érotique gagnerait à trouver ses marques encore plus au Québec.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir L’auteure Stéphanie Leduc, derrière la bande dessinée «Dryade», estime que la bédé érotique gagnerait à trouver ses marques encore plus au Québec.

L’anecdote donne un peu envie de glousser. À l’origine, la bédéiste Stéphanie Leduc souhaitait faire imprimer sa dernière bande dessinée, Dryade (Erotic Fantasy), au Manitoba, mais l’imprimeur a refusé de le faire, jugeant que l’oeuvre à reproduire heurtait un peu trop ses convictions religieuses.

Sous la couverture pourtant, l’immoralité n’est pas très criarde. Le récit fantastique met en scène des mutants forcés de succomber au plaisir de la chair pour survivre. Les courbes sont réalistes, oui, mais tracent surtout les contours d’un univers graphique proche des bédés de science-fiction pour adolescents, dans un tout qui cherche à poser les jalons d’une bande dessinée érotique titillée au Québec et dont l’émergence reste encore et toujours timide.

« Ce n’est pas un genre naturel ici », résume, assise à la terrasse d’un café, dans un quartier montréalais excentré, l’auteure atypique qui travaille actuellement au troisième chapitre de sa série pour enfants Titi Krapouti Cie (Glénat) tout en pensant au scénario érotique du tome II de Dryade. « Je n’ai jamais trouvé d’éditeur pour cette série que j’ai publiée à compte d’auteur après une campagne de sociofinancement qui s’est jouée sur le site belge Sandawe. » Ce sont 219 prélecteurs qui ont répondu à l’appel. Un imprimeur de Montréal a accepté de se mouiller pour donner corps à cette incursion dans un érotisme fantastique, dont le milieu du livre s’accommode avec des réactions parfois troublantes.

« Dans certaines librairies, le bouquin est présenté dans une vitrine fermée à clef, dit Stéphanie Leduc, qui a décidé d’investir le genre après l’avoir découvert à l’air libre dans des librairies de livres d’occasion aux Pays-Bas, il y a quelques années. Cela crée une distance avec l’objet, et cherche sans doute à induire une certaine culpabilité chez le lecteur », dans cette pure tradition puritaine un tantinet anglo-saxonne.

Cachez tout cela !

« Sommes-nous plus prudes ? » se demande l’éditeur Luc Bossé, chez qui Zviane a publié en 2013 Les deuxièmes (Pow Pow), romance impossible qui vire au sexe sur fond de musique classique dans ses dernières pages. « Les ouvrages érotiques sous verrou dans les librairies peuvent le laisser croire, en effet, alors qu’au festival d’Angoulême [en France], ce genre est directement posé sur des tables à la portée de tous. »

Paradoxalement, c’est le cas aussi dans les festivals de bande dessinée au Québec, et même en Ontario, que Stéphanie Leduc fréquente et où elle voit désormais un peu plus les esprits s’ouvrir et les choses changer devant ce genre dans la marge qui n’est toutefois pas condamné à le rester. « Le succès du roman Fifty Shades of Grey [avec sa sexualité divergente glamourisée] a légitimé, a rendu plus acceptable l’érotisme dans la culture populaire, dit la bédéiste sans avoir peur d’inscrire son Dryade dans la foulée de l’oeuvre d’E. L. James. Les gens n’ont plus peur, se sentent moins coupables en parcourant ce genre dans des librairies. »

Des rayons au musée

 

Signe des temps en mutation, le personnage principal, avec son postérieur joufflu, va faire son entrée la semaine prochaine au Musée québécois de culture populaire de Trois-Rivières, à la porte de l’exposition BDQ : l’art de la bande dessinée québécoise, qui explore le processus créatif de 23 bédéistes d’ici. Stéphanie Leduc en fait partie avec son Titi Krapouti et Dryade. « On m’a fait ajouter une feuille sur les fesses toutefois, parce que c’est un espace familial », avoue-t-elle.

N’empêche, la bédé érotique gagnerait selon elle à trouver ses marques encore plus qu’aujourd’hui, particulièrement dans une époque où l’accès à la pornographie est facilité par les voix numériques. « Les récits érotiques mettent de l’élégance, de la poésie, mais aussi du mystère et de la romance dans des histoires d’attraction et de rapprochement que la pornographie a fait disparaître » dans sa quête d’hyperpragmatisme, résume la bédéiste.

« Au Québec, on découvre que la bande dessinée n’est pas uniquement pour les enfants », dit Luc Bossé. Depuis 15 ans, un corpus pour adultes a fait son apparition, avec désormais dans sa marge, par effet d’osmose, une bédé érotique, pas très présente, mais forcément là pour de bon, croit-il.

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