Énergie Est, tuyau idéologique

« Ce n’est pas qu’un simple tuyau. » Dedans, « c’est tout un monde qui coule », assure Éric Pineault dans son livre Le piège Énergie Est. Le sociologue traite de l’oléoduc projeté qui, à partir de l’Alberta, traverserait le Québec pour acheminer au Nouveau-Brunswick du piètre pétrole issu des sables bitumineux et destiné à l’exportation outre-mer. Il y coule l’obsession capitaliste du profit rapide au prix du désastre écologique prédit par la science et la sagesse.
Le pipeline matérialise un « conflit de valeurs », selon Pineault. Ce sont les autochtones qui, plus proches que les autres de l’équilibre de la nature, ont le mieux compris cette tragique opposition entre deux visions de la vie et l’ont sentie jusque dans leur chair. Les militants Maïtée Labrecque-Saganash et Gabriel Nadeau-Dubois observent, dans leur pénétrante préface, que le Québec, resté innocent, a tardé à s’apercevoir que le continent « est entré dans l’ère des hydrocarbures extrêmes ».
Pineault souligne que ce qu’il qualifie à juste titre de « goudron » albertain « contribuera à émettre dans l’atmosphère quatre fois plus de CO2 et autres gaz à effet de serre (GES) que le pétrole conventionnel ». Cela équivaudra, précise-t-il, à l’émission annuelle provenant de sept millions de véhicules. On comprend que l’essayiste militante Naomi Klein ait déclaré que, « si ce pipeline est construit, le Québec deviendra le complice du pire crime contre le climat dans le monde ».
Éthique ?
Le substitut du pétrole classique ainsi transporté aggraverait le réchauffement néfaste de la planète au point de le rendre irréversible. Par sa combustion en Europe et en Inde, où on l’exporterait surtout, il y augmenterait la pollution de l’air. De plus, Énergie Est, qui le transporterait, risque fort, par des déversements accidentels, de dégrader l’environnement au Québec et ailleurs au Canada.
Pour montrer jusqu’où l’on cherche à ennoblir ce projet mercantile, Pineault signale que TransCanada, l’entreprise albertaine qui entend construire Énergie Est, a engagé Phil Fontaine, ex-chef de l’Assemblée des Premières Nations du pays, comme lobbyiste. Il s’agit d’obtenir, grâce à son influence, l’appui des nombreuses communautés autochtones qui vivent le long du tracé de l’oléoduc.
Les défenseurs du projet ont même qualifié le combustible extrait des sables bitumineux de pétrole « éthique ». Ils tentent de l’opposer, de façon trompeuse, à celui d’une dictature comme l’Arabie saoudite, même si le Québec n’importe pas de pétrole de ce pays.
À l’inverse de ces stratagèmes, Pineault espère voir une alliance « postcoloniale » entre les autochtones et le Québec pour favoriser une transition énergétique non polluante. Si idéaliste soit-il, le souhait indique combien le projet Énergie Est relève d’un Canada encore fidèle à son passé colonial d’exportateur de matières premières, comme les hydrocarbures, sans se soucier que ce rôle vieilli dégénère.