Une fausse piste peut en cacher une autre

Richard Ste-Marie
Photo: Francine McNicoll Richard Ste-Marie

Richard Ste-Marie en est déjà à son quatrième roman mettant en scène le sergent-détective Francis Pagliaro, de la Sûreté du Québec. Curieux, mélomane et même philosophe à ses heures, Pagliaro est aux antipodes des flics alcoolos sans culture et à la répartie facile qui ont fait le succès des romans noirs. Et ça lui va très bien.

Le voici aux prises avec une série de crimes inexplicables, commis dans des milieux complètement différents et n’ayant en commun que l’arme avec laquelle ils ont été exécutés : un petit calibre, 22 ou peut-être même un 25, interdit au Canada. L’affaire le préoccupe d’autant plus que la première victime de la série est un de ses hommes les plus brillants : Nicolas Turmel, un crack de l’informatique assassiné chez lui alors qu’il travaillait à son ordi en écoutant de la musique.

Fait étonnant, les doigts du policier sont collés sur le clavier de l’ordinateur et forment un message incompréhensible…

Radicalisation

 

Pagliaro se retrouve bientôt à Québec où la femme d’un musicien, Louis Collard, prof de saxophone à l’Université Laval, a été éliminée tout aussi inexplicablement à l’aide d’une arme de même calibre. De cette visite découlera rapidement une première piste étonnante : celle de la « radicalisation » d’un Québécois né ici de parents marocains.

Hassan Choukri, percussionniste dans Maurbec, groupe folk spécialisé en musique orientale et dans lequel Louis Collard joue des instruments à vent traditionnels, a épousé la soeur de Collard. Il est même devenu l’ami le plus proche du saxophoniste. Mais voilà qu’Hassan s’est fait avec le temps de plus en plus religieux ; il en est même venu à suggérer fortement à sa femme de porter le voile avant qu’ils ne s’envolent tous les deux pour l’Afrique du Nord. Bon. C’est un peu rapide, mais plausible.

Pagliaro et son équipe suivront cette piste de la radicalisation… jusqu’à ce qu’elle se révèle fausse. Ils s’attarderont aussi aux rares amis de Collard, dont une troisième victime, un trompettiste au passé trouble. Encore ici, les enquêteurs tomberont sur un cul-de-sac. Tout ne mène à rien sauf à mettre en relief des liens entre un autre musicien du groupe, d’origine maghrébine, et la mafia russe.

Tout cela devient enfin plus vraisemblable lorsque la preuve est faite que le troisième assassinat a été commis avec la même arme : un petit Tula-Korovin, un TK, l’arme préférée de l’ancien NKVD et des mafias russes. Mais quand Pagliaro saisit qu’au moins deux des trois victimes sont mortes pour rien, sacrifiées parce qu’elles se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment, il devine bientôt que ce n’est là que la pointe de l’iceberg. Pour que des criminels parviennent à se montrer aussi insaisissables, un haut gradé de la police est forcément impliqué…

Richard Ste-Marie, on le sait maintenant, parle de ce qu’il connaît bien. Professeur retraité, musicien, artiste-peintre, tous ses livres décrivent minutieusement des univers qu’il a explorés pendant longtemps et qui définissent une bonne partie du caractère de son enquêteur. Sa perception du monde est large, et les réflexions qu’il en tire très riches, même si le bagage philosophique de Pagliaro est parfois un peu ostentatoire. Ses intrigues sont tissées serrées — quoiqu’elles sacrifient encore à quelques rares clichés — et ses personnages apparaissent de plus en plus solides d’un roman à l’autre. Par contre, la charge émotionnelle de son récit n’atteint pas cette fois l’intensité de celle qu’il nous avait fait vivre dans Repentir(s) (Alire, 2014), son roman précédent.

Mais vous verrez, vous ne pourrez que vous laisser prendre par cette histoire tordue fort bien racontée dont les paramètres les plus importants ne se laissent saisir qu’à la toute fin. On ne s’en plaindra surtout pas.

Le blues des sacrifiés

Richard Ste-Marie, Éditions Alire, Lévis, 2016, 364 pages

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