À la vie à la mort

En 1952, à Daruvar, un village croate de ce qui était alors la République fédérative socialiste de Yougoslavie, une fillette meurt après avoir reçu un vaccin — expérimental et américain — contre la rougeole. Pour secouer l’apathie du personnel hospitalier, alors que plusieurs cas semblables se déclarent dans la ville, le père de la fillette avait pourtant offert à un médecin 10 000 dinars pour la sauver. « Deux années de salaire pour un ouvrier d’usine. » Ou l’équivalent d’une Opel neuve. Mais ils préféraient encore jouer aux cartes. « La santé est un jeu de hasard, comme les cartes. À ce stade, nous pouvons seulement espérer que la chance nous sourira. »
Josip Novakovich, lui-même né à Daruvar en 1956, a émigré aux États-Unis à l’âge de 20 ans. Il a vraisemblablement plongé dans des souvenirs personnels pour donner vie aux quatre histoires qui composent Trois morts et neuf vies, toutes parues dans des magazines entre 1988 et 2008. Auteur d’un roman, Poisson d’avril, et d’un recueil de nouvelles, Infidélités (Boréal, 2014 et 2015), Novakovich vit à Montréal et enseigne la création littéraire à l’Université Concordia.
Le Matou
Alors que « Patience » semble évoquer la mort tragique de sa petite soeur, dans « Pomme », il raconte, alors qu’il avait 11 ans, comment son père est mort subitement après avoir mangé une pomme. Le médecin, un ivrogne notoire, n’était pas à l’hôpital. Il avait par contre laissé un message disant qu’il était Au joyeux cellier (un bar), mais a finalement préféré aller Au dernier paradis sur terre (un autre bar). « Le temps que nous le trouvions, à boire et à jouer, père était déjà mort. » « Je crois pour ma part qu’il n’y a pas de bonne mort. Peu importe comment elle survient, la mort est toujours épouvantable. »
À la mort de sa mère, le narrateur de « La mort de Ruth », qui vit aux États-Unis, entreprend en catastrophe d’aller assister à ses funérailles en Croatie. Pour Novakovich, qui a grandi dans une famille de baptistes un peu à l’écart, c’est une autre occasion de plonger pêle-mêle dans les souvenirs et de réaliser, cette fois, qu’il n’aura plus jamais à revenir dans cette petite ville, « sauf peut-être pour mourir ».
« La biographie complète et définitive de Byeli, matou du Nebraska » raconte le destin d’un chat tout blanc trouvé par l’auteur. Épique, increvable, couillu, obsédé, les expéditions amoureuses de ce chat à neuf vies, disparaissant puis réapparaissant chaque fois comme par miracle, sont drôles à en pleurer.
Des histoires de vie et de mort, bordées chaque fois d’une teinte de fatalisme balkanique. Quatre histoires qui pourraient être banales, mais qui ne le sont jamais grâce au doigté et à la manière tout en finesse de Josip Novakovich.

"Je ne me sens pas bien.
— Filons chez le médecin", a suggéré ma mère.» Extrait de «Trois morts et neuf vies»