«Apulée»: un événement littéraire

La création de la revue Apulée, « nouvelle revue des littératures du monde », publiée par Zulma, est un événement littéraire de première importance. Depuis la disparition de Riveneuve Continents, dont les numéros étaient généralement consacrés à l’une ou l’autre des littératures francophones (le Québec avait eu droit à son édition spéciale en 2008), il n’y avait plus qu’IntranQu’îllités, en provenance d’Haïti et désormais aussi éditée par Zulma, pour mettre en relation les différents auteurs de langue française.

La nouvelle revue se décrit comme « attentive aux oeuvres vives du Maghreb et de la Méditerranée, de l’Afrique et au-delà, laissant une place entière à la fiction, aux débats de pensée, à la poésie, au croisement des langues et à la traduction, aux voix nouvelles, lointaines ou proches, aux voix du monde ». Se réclamant des revues Fontaine de Max-Pol Fouchet ou encore Souffles d’Abdellatif Laâbi, son rédacteur en chef, le romancier et poète d’origine tunisienne Hubert Haddad, souhaite faire de la publication « un carrefour des mondes à l’écart des enjeux de pouvoir ».

Revue « de littérature et de réflexion », excentrée du côté du Maghreb et de la Méditerranée, mais ouverte aux horizons les plus divers, Apulée consacre son premier numéro aux « Galaxies identitaires » et réunit, à côté d’écrivains consacrés, poètes, nouvellistes, romanciers et essayistes de toute provenance. Quant au nom de la revue, il renvoie à l’auteur des Métamorphoses, présenté comme un « esprit libre de la Numidie romaine, qui étudia à Carthage et à Athènes, et donna au monde un modèle du genre romanesque universel ».

Chemin

 

L’ampleur de la publication laisse la possibilité au lecteur d’emprunter le parcours de son choix. On peut ainsi privilégier le parcours thématique, qui s’ouvre par un entretien de Catherine Pont-Humbert avec Albert Memmi discutant des différentes composantes des identités individuelles ou collectives, celles-ci davantage problématiques que celles-là. Pour Jean-Marie Blas de Roblès, « l’étranger, cet Autre énigmatique, hante nos peurs bien plus que nos cités ». De son côté, Abdellatif Laâbi fait entendre la « voix des Arabes libres » et Boualem Sansal retrace l’itinéraire du jeune Akli vers son destin de martyr.

On peut aussi choisir le parcours anthologique, qui mène aux noms connus. En plus de ceux déjà cités, mentionnons les contributions de Leïla Seibar, Colette Fellous, Abdelwahab Meddeb, Alain Mabanckou, Bernard Noël, Adonis et autres… Mais on aurait tort de se priver d’un parcours aléatoire, qui consiste à feuilleter au hasard cette revue à la présentation particulièrement soignée, assortie de nombreuses photos. On y découvre, par exemple, au milieu d’un beau poème réflexif de Denise Desautels (« Celles que je suis »), cette citation de Sylvie Laliberté : « Je ne peux compter sur les humains, ils ne le sont pas tous. » Ou encore, sous la signature d’Anne Douaire-Banny, cette phrase inspirée de Gaston Miron : « C’est quand elle rêve que la réalité fait advenir le réel. »

Hubert Haddad, dans un texte personnel, n’hésite pas à affirmer qu’« aujourd’hui comme hier, les “ enjeux de l’écriture en langue française ” ne sont pas et ne seront jamais tributaires des prix littéraires, des coalitions frivoles ou des modes académiques. Pourquoi, écrivains des quatre coins du monde, ressentons-nous un fond d’imposture dans l’attaque en règle de la francophonie par d’autres écrivains, certes talentueux, mais tous accrédités par la grande édition parisienne et qui se regardent écrire le monde comme d’autres le nombril ? » On ne saurait mieux dire !

Le même écrivait dans son édito : « La civilisation, dans ses triomphes et ses déboires, invente l’homme à partir d’une identité toujours réinventée. » Les auteurs réunis dans ce numéro inaugural d’Apulée témoignent avec brio de cet imaginaire en expansion qui fonde les sociétés.

Revue Apulée no 1, « Galaxies identitaires »

Zulma, Paris, 2016, 400 pages

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