Réinventer l’espoir

Pour se rajeunir et prétendre à l’originalité, la droite, depuis la fin des années 1970, se présente volontiers comme radicale, mot qu’on associait souvent à la gauche. Margaret Thatcher l’a fait. Ont suivi dans cet esprit Reagan, Bush père et fils, Sarkozy et, ici, Harper et Couillard. Chroniqueur au Devoir, Jean-François Nadeau, dans son essai Les radicaux libres, réinvente l’espoir éteint par ces électrons libres qu’il persifle en refoulant colère et honte.
Les tenants politiques du néolibéralisme agissent en effet de manière indépendante par rapport à l’humanité. Ils défendent seulement, au dire de Nadeau, l’infime minorité des « rois du marché » qui forment la « dictature de l’actionnariat ». Derrière le style brillant et plein d’humour se cachent une rage et une douleur très profondes. On les sent déjà quand l’auteur signale qu’« on consacre de plus en plus d’argent à gérer » la pauvreté pour en faire « une véritable industrie » néolibérale, « alors qu’il conviendrait plutôt de l’éradiquer ».
Dans le recueil de ses textes écrits entre 2003 et 2016 (certains, retravaillés, issus de sa chronique du Devoir, d’autres puisés ailleurs ou parfois inédits), on les perçoit comme jamais à travers les pages consacrées au triste sort actuel des autochtones. En visitant le village algonquin de Kitcisakik, au sud de Val-d’Or, Nadeau ausculte, dans son propre pays, une réalité brutale : la misère. Maisonnettes qui paraissent de carton. Ni égout, ni eau courante, ni électricité pour les 300 habitants.
Le journaliste ne nie pas que le sort des Amérindiens fut moins tragique dans leurs rapports avec les Canadiens français qu’avec les Anglo-Saxons et que l’ensauvagement de nos coureurs des bois et la sympathie du Québec pour Louis Riel, chef des Métis, comptent parmi les « belles aventures humaines ». Mais il nous convainc que le dépérissement des autochtones devrait provoquer une remise en cause salutaire de la poétisation de nos liens historiques avec eux.
Nous ne pouvons, souligne-t-il avec pénétration, « neutraliser l’horreur en la transposant sur une échelle de degrés de douleur ». En définitive, pas plus que les autres descendants d’Européens, nous ne sommes justifiés de prétendre à un « partenariat » avec les Amérindiens, fût-il forgé par les siècles. Terriblement lucide, Nadeau explique : « Il y a des vainqueurs. Et des vaincus. »
Ce qui ne l’empêche pas de croire encore à la nécessité de l’indépendance du Québec, même pour les enfants gâtés du colonialisme anglais que nous fûmes par comparaison avec les Amérindiens, les esclaves noirs, d’autres colonisés de couleur, les Irlandais, les Acadiens. Sa colère et sa honte, Nadeau réussit à les apaiser en admirant l’indépendantiste Pierre Bourgault pour avoir rêvé d’un Québec sans drapeau et sans hymne national ayant pour seules choses à partager avec le reste du monde sa liberté ainsi que sa fraternité.