Changer le monde (trois vers à la fois)

On savait déjà que certains professeurs employaient le slam comme cheval de Troie afin de doucement rouler l’idée de la poésie jusque dans le cœur et la tête des ados s’évachant devant eux, et ça tombait sous le sens. Il y a dans le slam une sorte de logorrhée propre à cet âge généreux en afflux d’hormones. On savait moins, ou pas du tout, que le tout petit haïku peut servir les mêmes nobles et ambitieux objectifs.
« La poésie doit être faite par tous. Non par un », aime à répéter, en citant Lautréamont, Jeanne Painchaud. Sapée de ses plus beaux habits rougeoyants, la haïkiste et médiatrice culturelle pénètre non seulement les murs d’écoles primaires et de polyvalentes, mais aussi ceux de HLM ou de centres jeunesse.
« Dans une école secondaire multiethnique de Montréal, j’étais allée dans une classe de rattrapage, où il y avait plusieurs beaux grands jeunes d’origine haïtienne. Deux d’entre eux m’ont dit en substance qu’ils étaient bien contents d’apprendre “ comment faire ” de la poésie. Parce qu’ils allaient pouvoir écrire de plus belles lettres d’amour à leur amoureuse. Je l’ai pris comme le plus beau des compliments ! » se souvient-elle dans Découper le silence.
Composé à la fois de ses poèmes à elle et de brefs essais inspirés par la lecture, la pratique et l’enseignement de cette forme héritée du XVIIe siècle de Bashô, ce « regard amoureux » sur un des plus beaux cadeaux du Japon au monde, sorte de haïku 101 qui vulgarise sans prendre personne pour un con, se lit comme le journal de bord d’une des plus enthousiastes ambassadrices québécoises du poème en trois vers.
« En français, on n’a pas l’habitude de dire brièvement un petit instant. On est porté à décrire, à décrire, à décrire, et à sortir nos grosses métaphores, note-t-elle en entrevue. Sauf que même si je n’aime pas dire que le haïku correspond à l’instantanéité de l’époque, parce que l’instant du haïku est beaucoup plus apaisant qu’affolant, je crois que les jeunes que je rencontre aujourd’hui sont peut-être mieux disposés, grâce à Twitter et au texto, à travailler cette forme-là. »
Ça donne des pépites comme « Printemps / une brise embrasse mon visage / au moins elle ! » (signée Louis-Philippe Chénier, un étudiant du collège Saint-Jean-Vianney) ou « Je n’ai plus besoin de coq / pour me réveiller / la déneigeuse fait le travail » (signée Rodrigo Espinosa, jeune immigrant de 11 ans qui vivait alors son premier hiver).
« Le haïku a cette propriété quelque peu fantasmagorique, que l’on s’imagine toujours pouvoir en faire soi-même facilement », observait Roland Barthes, cité dans Découper le silence. En faire facilement ? Ne charrions pas. Le haïku peut, et doit, être sérieusement pratiqué par d’authentiques écrivains, affirme Jeanne Painchaud. Elle esquisse néanmoins un petit rictus de satisfaction en songeant à son indéniable accessibilité, en cela qu’elle mine une conception de l’artiste possédant jalousement des outils inatteignables.
« En Occident, quand on ne pense pas à notre enfance, on envisage déjà notre retraite, rigole l’auteure. On est rarement dans l’instant. Le haïku m’aide à vivre plus intensément. Ça rejoint des disciplines comme le yoga ou la méditation, qui s’ancrent profondément dans l’instant. »
Tout en regrettant que sa forme de prédilection génère sourcillements et persiflages — un dédain ou une incompréhension ayant selon elle à voir avec l’amour-passion pour le vers libre qu’entretiendrait un certain milieu poétique encore échaudé par les contraintes auquel le cours classique et autres institutions les a soumis —, Jeanne Painchaud se réjouit que le Nobel de littérature 2011 ait été accordé à un de ses adeptes (le Suédois Tomas Tranströmer), et qu’on célèbre le 17 avril la Journée internationale du haïku, décrétée par la Fondation haïku.
Pour un deuxième été consécutif, l’installation Poème d’un jour, ornée de haïkus écrits par des camelots de L’Itinéraire lors d’ateliers donnés par prof Painchaud, trônera dès le 25 mai devant la Grande Bibliothèque. Parmi eux, l’an dernier, un certain Siou écrivait ceci : « Enfin assis dans le bus / mais dans ma tête / je continue à courir. » Peut-être était-il déjà à la poursuite de son prochain poème ?
« La poésie doit être faite par tous. Non par un », aime à répéter, en citant Lautréamont, Jeanne Painchaud. Sapée de ses plus beaux habits rougeoyants, la haïkiste et médiatrice culturelle pénètre non seulement les murs d’écoles primaires et de polyvalentes, mais aussi ceux de HLM ou de centres jeunesse.
« Dans une école secondaire multiethnique de Montréal, j’étais allée dans une classe de rattrapage, où il y avait plusieurs beaux grands jeunes d’origine haïtienne. Deux d’entre eux m’ont dit en substance qu’ils étaient bien contents d’apprendre “ comment faire ” de la poésie. Parce qu’ils allaient pouvoir écrire de plus belles lettres d’amour à leur amoureuse. Je l’ai pris comme le plus beau des compliments ! » se souvient-elle dans Découper le silence.
Composé à la fois de ses poèmes à elle et de brefs essais inspirés par la lecture, la pratique et l’enseignement de cette forme héritée du XVIIe siècle de Bashô, ce « regard amoureux » sur un des plus beaux cadeaux du Japon au monde, sorte de haïku 101 qui vulgarise sans prendre personne pour un con, se lit comme le journal de bord d’une des plus enthousiastes ambassadrices québécoises du poème en trois vers.
« En français, on n’a pas l’habitude de dire brièvement un petit instant. On est porté à décrire, à décrire, à décrire, et à sortir nos grosses métaphores, note-t-elle en entrevue. Sauf que même si je n’aime pas dire que le haïku correspond à l’instantanéité de l’époque, parce que l’instant du haïku est beaucoup plus apaisant qu’affolant, je crois que les jeunes que je rencontre aujourd’hui sont peut-être mieux disposés, grâce à Twitter et au texto, à travailler cette forme-là. »
Ça donne des pépites comme « Printemps / une brise embrasse mon visage / au moins elle ! » (signée Louis-Philippe Chénier, un étudiant du collège Saint-Jean-Vianney) ou « Je n’ai plus besoin de coq / pour me réveiller / la déneigeuse fait le travail » (signée Rodrigo Espinosa, jeune immigrant de 11 ans qui vivait alors son premier hiver).
« Le haïku a cette propriété quelque peu fantasmagorique, que l’on s’imagine toujours pouvoir en faire soi-même facilement », observait Roland Barthes, cité dans Découper le silence. En faire facilement ? Ne charrions pas. Le haïku peut, et doit, être sérieusement pratiqué par d’authentiques écrivains, affirme Jeanne Painchaud. Elle esquisse néanmoins un petit rictus de satisfaction en songeant à son indéniable accessibilité, en cela qu’elle mine une conception de l’artiste possédant jalousement des outils inatteignables.
Le haïku, barrage contre l’époque
Le haïku, aussi bref soit-il, permettrait-il de freiner la proverbiale frénésie de ce siècle de vitesse ? Le haïku, barrage contre l’époque ? Oui, affirme, sans pourtant jouer à l’ésotérique, celle qui écrit adopter, lorsqu’elle capte ses haïkus dans le hasard des heures, « la position du photographe… qui aurait un incroyable appareil multisensoriel ».« En Occident, quand on ne pense pas à notre enfance, on envisage déjà notre retraite, rigole l’auteure. On est rarement dans l’instant. Le haïku m’aide à vivre plus intensément. Ça rejoint des disciplines comme le yoga ou la méditation, qui s’ancrent profondément dans l’instant. »
Tout en regrettant que sa forme de prédilection génère sourcillements et persiflages — un dédain ou une incompréhension ayant selon elle à voir avec l’amour-passion pour le vers libre qu’entretiendrait un certain milieu poétique encore échaudé par les contraintes auquel le cours classique et autres institutions les a soumis —, Jeanne Painchaud se réjouit que le Nobel de littérature 2011 ait été accordé à un de ses adeptes (le Suédois Tomas Tranströmer), et qu’on célèbre le 17 avril la Journée internationale du haïku, décrétée par la Fondation haïku.
Pour un deuxième été consécutif, l’installation Poème d’un jour, ornée de haïkus écrits par des camelots de L’Itinéraire lors d’ateliers donnés par prof Painchaud, trônera dès le 25 mai devant la Grande Bibliothèque. Parmi eux, l’an dernier, un certain Siou écrivait ceci : « Enfin assis dans le bus / mais dans ma tête / je continue à courir. » Peut-être était-il déjà à la poursuite de son prochain poème ?