Sus à la législation de complaisance

À l’expression « paradis fiscal », l’auteur Alain Deneault préfère un terme plus générique : « législation de complaisance ».
Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir À l’expression « paradis fiscal », l’auteur Alain Deneault préfère un terme plus générique : « législation de complaisance ».

En coïncidant avec les révélations des Panama Papers, qui ont éclaboussé jusqu’au premier ministre britannique David Cameron, la parution d’Une escroquerie légalisée. Précis sur les « paradis fiscaux », d’Alain Deneault, tombe à pic. « Lorsqu’un hôpital met un an et demi à procéder à une intervention chirurgicale pourtant cruciale, c’est à cause des paradis fiscaux », écrit le chercheur, car l’État se prive ainsi de l’argent qui lui serait vite nécessaire.

Négation flagrante de l’égalité sociale et de la démocratie, ces paradis constituent un vol collectif effarant. Dans la postface du livre, Denise Byrnes, directrice générale d’Oxfam-Québec, donne une explication très simple et par là éloquente. La militante résume : « Les paradis fiscaux ont rendu légaux des actes contraires à la morale, à la justice et aux droits de la personne. Ils permettent l’accumulation de richesses inouïes à l’abri du système de taxation et de redistribution de la richesse. »

À l’expression « paradis fiscal », héritée de l’époque où les puissances occidentales profitaient du laxisme de colonies ou d’anciennes colonies pour y mettre de l’argent à l’abri du fisc, Deneault préfère un terme plus générique : « législation de complaisance ». Les légendaires palmiers des îles lointaines font oublier que dans des lieux moins exotiques, un astucieux système de droit parallèle permet de libérer l’économie d’autres contraintes que l’impôt.

Le chercheur québécois range parmi ces lieux l’État américain du Delaware (paradis des bilans d’entreprise), l’Irlande (celui des droits de propriété intellectuelle), le Liberia (port franc pour l’immatriculation des cargos), la Chine (zone franche dans plusieurs domaines), Singapour (eldorado des paris sportifs) et même le Canada (paradis pour les sociétés minières d’exploration). D’autres pays, comme le Panama, se spécialisent, note-t-il, dans des opérations aussi criminelles que le blanchiment d’argent issu du narcotrafic.

Même chez les pourfendeurs politiques des paradis fiscaux, la présence dans plusieurs de ces lieux du crime pur et simple reste un sujet tabou. Spécialiste français de la lutte contre le blanchiment d’argent, Éric Vernier a malgré tout lancé lors d’un colloque à l’Assemblée nationale de son pays, le 27 mai 2009 : « Le royaume du crime devait être invité au G8, puisque ça en fait la huitième puissance mondiale. »

Justement, en marge du G8 en 2009, le président français Nicolas Sarkozy nous a rassurés : « Les paradis fiscaux, le secret bancaire, c’est terminé. » Comme le pense, en décodant ce coup de théâtre, Deneault le perspicace, les grandes puissances n’ont maintenant qu’à imiter subtilement les paradis « de façon à ce qu’on ne discerne plus » ceux-ci sous les mille apparences de la légalité. L’implacable vérité, c’est que l’évasion fiscale reste inhérente au capitalisme.

L’auteur sera au Salon international du livre de Québec les 16 et 17 avril.

« C’est l’équivalent des économies cumulées des États-Unis et du Japon qui se trouve administré hors de toute contrainte légale dans les paradis fiscaux. » Extrait de « Une escroquerie légalisée »

Une escroquerie légalisée. Précis sur les « paradis fiscaux »

Alain Deneault, Écosociété, Montréal, 2016, 128 pages



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