

Un buffet qui laisse des miettes pour les artistes
Le chiffre fait image. En 2015, les quelque 540 000 écoutes Spotify de la chanson «Paradis City» de Jean Leloup lui...
Les auteurs, on le sait, ne sont pas riches, et le livre ne fait pas vivre bien gras au Québec. Les contrats d’édition prévoient en général 10 % des revenus des ventes du livre en droits d’auteur — ventes, on le sait, qui ont chuté ces derniers mois.
Seules les subventions — ou encore les à-valoir accordés par les éditeurs, qui sont loin de couvrir tous les besoins — peuvent assurer des émoluments lors de l’écriture. Y aurait-il moyen que les lecteurs encouragent davantage, ou plus directement, les auteurs ?
Avec la révolution numérique, les musiciens ont perdu le contrôle d’une grande part de leurs redevances. Mais ils peuvent aussi désormais vendre directement leurs oeuvres, avec une plus large part de profit, par le truchement de sites transactionnels comme Bandcamp.
Dans le milieu du livre québécois, l’attachement à l’objet de papier, d’encre et de colle demeure fort et contribue à la résistance du livre à la révolution numérique. L’autoédition, qui permet à un auteur de produire lui-même son oeuvre, n’a pas bonne réputation. Et la structure de la chaîne du livre fait qu’il est difficile pour ces auteurs-éditeurs de se faire distribuer efficacement, de faire en sorte que leurs livres trouvent une place en librairie, et encore plus qu’ils soient achetés par les bibliothèques.
Avec l’avènement du numérique, tous les intervenants dans le milieu du livre sont à réfléchir à leur valeur ajoutée pour le secteur. Tout le monde est en train de voir comment se positionner.
Car la loi 51 sur le livre régule toute la chaîne des intervenants du marché, de l’auteur jusqu’au libraire. Elle protège les joueurs, jugulant aussi les initiatives qui pourraient faire augmenter de manière inéquitable les revenus des uns ou des autres.
Si la vague numérique finit par frapper le livre québécois, comme on l’anticipe depuis des années, l’auteur pourra-t-il trouver dans ce bouillonnement des manières d’augmenter sa part du gâteau ? Gagnerait-il à sortir de la chaîne du livre ? « Avec l’avènement du numérique, tous les intervenants dans le milieu du livre sont à réfléchir à leur valeur ajoutée pour le secteur. Tout le monde est en train de voir comment se positionner », répond le directeur général de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois, Francis Farley-Chevrier.
Quelques initiatives, anecdotiques, comme celles d’Arlette Cousture ou de Marie Laberge, qui ont mis en vente sur leur propre site des nouvelles et des lettres, récupérant ainsi un plus large pourcentage des ventes et un contact direct avec les lecteurs, ont émergé ici et là. « Mais ce faisant, elles sont devenues elles-mêmes éditrices et diffuseuses », explique Richard Prieur, de l’Association nationale des éditeurs québécois. Elles ont absorbé les intermédiaires, au lieu de les éliminer. « On ne peut empêcher personne de devenir éditeur. »
Il n’est pas tout à fait faux de dire que le numérique ne débloque pas pour l’édition québécoise, poursuit le directeur général. Chose certaine, il manque des chiffres et de l’information, car ne sont accessibles encore que les ventes des trois agrégateurs québécois francophones, De Marque, ADP et Prologue. « Un livre québécois vendu sur iTunes n’y figure pas, comme ceux vendus par Kobo, Apple et Amazon. On sait qu’il se vend 7 millions de livres numériques francophones au Québec, mais c’est peut-être en réalité 15 ou 7,5… Et on ne compte pas non plus les ventes que font les majors anglophones au Québec. »
Au Québec, Amazon, Kobo et Apple perçoivent 30 % du prix de vente du livre. 10 % à 15 % vont à l’agrégateur. Revient donc à l’éditeur de 50 % à 55 %. « Présentement, il y a une bonne pratique générale ici qui veut que les éditeurs haussent le pourcentage de droits d’auteur, afin que les écrivains reçoivent le même montant pour un livre numérique que pour son équivalent papier », poursuit M. Prieur. Mais ces ventes demeurent faibles.
La maison d’édition Alto a bien voulu dévoiler les chiffres du dernier Nicolas Dickner, Six degrés de liberté, titre qui a bénéficié d’une couverture médiatique rare, afin d’illustrer le décalage entre l’encre et le pixel. 11 000 exemplaires vendus, et 600 copies numériques, « donc un peu moins de 5 % », a confié l’éditeur Antoine Tanguay.
Mêmes disproportions à La Peuplade, confirme l’auteure Mélissa Verreault. En octobre 2015, son roman L’angoisse du poisson rouge affichait au compteur 1298 exemplaires papier contre 135 copies numériques, alors que son récit Voyage léger enregistrait 1075 exemplaires contre 21 copies numériques. Ce n’est donc pas ça qui engraissera les auteurs.
« Le livre numérique n’est pas dans la loi 51, même si tous, pour l’instant, en respectent l’esprit. Il émerge encore, poursuit Richard Prieur, et il va falloir tantôt affronter les problématiques du milieu de la musique, comme les abonnements et les bouquets. En livres, on est dans la préhistoire numérique car les gens acquièrent encore les bouquins en les achetant. »
Le piratage touche aussi moins le secteur, comme la fragmentation en chapitres ou en segments. Et la lecture en continu serait forcément plus exigeante et donc moins séduisante que l’écoute en continu (streaming). Le livre québécois restera-t-il l’irréductible village qui résiste encore et toujours à l’envahisseur ? Ou l’invasion numérique n’est-elle qu’une question de temps ?
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