
Le frère conservateur de Papineau

Dans l’introduction qu’il signe au texte établi et savamment annoté, avec sa collaboratrice Renée Blanchet, de la correspondance inédite (1809-1853) de Denis-Benjamin Papineau, le chercheur Georges Aubin précise d’ailleurs que, d’abord d’allure réformiste, l’administrateur de la Petite-Nation, la seigneurie familiale en Outaouais, « finira sa carrière sous l’étiquette de tory ». Il suivra les traces de son ami le journaliste et fonctionnaire Étienne Parent et de tant d’autres ex-patriotes devenus conservateurs.
La situation a quelque chose de tragique. Louis-Joseph, le seul que spontanément la conscience collective québécoise désigne sous le nom de Papineau tout court, se trouve isolé, avec sa femme et ses enfants, de ses anciens compagnons de lutte, de son milieu, de sa famille élargie, même de son propre frère, beaucoup moins connu que lui. Son progressisme l’a mis au ban de la nation sans éteindre pour autant l’admiration que l’on garde pour lui.
Denis-Benjamin en témoigne avec éloquence à celui que le pouvoir britannique a contraint à l’exil et dont il se veut toujours le « frère bien affectionné ». Élu député en 1842, il lui écrit l’année suivante, à la suite des disputes politiques occasionnées par l’union du futur Québec et du futur Ontario : « Pour achever de consolider la paix dans le Canada, ta présence était nécessaire, par conséquent désirable par tous les partis. »
En 1845, il souligne à sa femme que l’esprit chicanier l’emporte maintenant sur l’esprit progressiste de ceux qui, en 1837, comme l’ambitieux Louis-Hippolyte La Fontaine, « voulaient faire une révolution » au Bas-Canada, « secouer le joug de l’Angleterre et se gouverner eux-mêmes ». Dans une lettre de 1846 à Louis-Joseph revenu d’exil, il déplore « des animosités » que tous doivent oublier, « et nous, Canadiens français, plus que les autres », car nous « en avons toujours été la victime ».
Malgré tout, Denis-Benjamin annonce un Canada-Uni élargi, encore rattaché à Londres et monarchique, comme l’établira la Constitution de 1867. « Je n’aurais pas d’objection à ce que les autres colonies anglaises de l’Amérique du Nord ne fissent partie de cette confédération », écrit-il, laissant à son frère le rêve du panaméricanisme républicain, révolution du Nouveau Monde à laquelle le Québec prendrait part