Le chant d’amour de Kanapé Fontaine

Lire la poésie de Natasha Kanapé Fontaine, c’est accompagner une conquérante, une femme qui dit son territoire avec un souffle tellurique captivant, tant l’amour qu’elle lui porte hausse sa parole jusqu’au chant. Elle ouvre l’espace à sa fascination : « Tout est cercle. La terre. Les bleuets et les abricots. Le poème est le mouvement qui féconde. Je suis le poème de l’existence. »
Kanapé Fontaine est une femme de mémoire, mais d’une mémoire qu’elle veut réactualiser, d’un passé qu’elle revitalise dans le présent, de toute la force de ses mots pour que survive un peuple aimé, une âme vivace qui sourd du coeur et de la passion. Ceux et celles dont elle parle tiennent un monde entre leurs mots. Elle affirme clair et fort : « Nous sommes dignes / nous sommes vivants. »
Peu importe que ce chant-là ait déjà été chanté, car nous avons le devoir de sans cesse le réentendre. Nous avons un devoir d’écoute pour que nous parvienne ce désir de la terre. Femme, fille des ancêtres, mère, tout entière appelée par le vivant inaltérable qui nourrit le sang des veines et des paroles, la poète envisage, du Nord au Sud, à travers les images du fruit indigène qu’est le « bleuet » et exotique qu’est « l’abricot », de revendiquer l’héritage qui est le sien : fruits de beauté, de couleur et de saveur, sensualité qu’à la bouche les mots et les sens traversent.
Mais la révolte aussi, devant ceux qui ont essayé de tarir les sources, de priver de fruits les arbres et les terres, couve et éclate et tonitrue. Les vers de la seconde partie débordent de cette colère furieuse et raisonnée contre l’envahisseur. « Assise sur l’avenue des Charognards / je guette l’allégresse / la haine qui me pousse à hurler // Je guette le nom des ruelles / de la grande mer / qui laisse passer les pauvres / à l’abri des vautours // La guerre est en moi comme partout. »
Cette réappropriation du territoire transite par la parole, chantée et louée comme fondatrice de l’avenir. « Je suis / j’existe », clame cette voix douée qui entonne une forme de résurrection : « Je sais dire je suis / je sais dire le mot terre / je sais dire le mot peuple / je reprendrai ma dignité. »
Le style incantatoire de cette poésie d’une grande noblesse a des relents mironniens, doit beaucoup à la poésie caraïbe, à cette manière d’être dans une sorte de hauteur de voix qui appelle justement à un exhaussement des aspirations. Ainsi, dans cet élan, « Le peuple / terres brûlées / se régénère / fruit / qui donne goût / au verbe exister. » Ce qui est également beau dans cette parole de soi vers l’autre, c’est cet art aigu de la transmission : « J’irai cueillir mon fils / le porterai sur mon bras gauche […] // Je lui murmurerai mon nom / au creux de l’oreille / – Anacaona – / pour qu’il s’en souvienne / à jamais // que je suis // Femme-terre // Innu Ishkueu. »