La colère abyssale d’Haïti

La misère d’Haïti reste un défi criant à l’ordre économique mondial.
Photo: Hector Retamal Agence France-Presse La misère d’Haïti reste un défi criant à l’ordre économique mondial.

En janvier, à la suite de manifestations dénonçant les fraudes au premier tour de l’élection présidentielle en Haïti, on reportait le second tour à une date indéterminée. L’occupation onusienne du pays déchiré, Justin Podur, spécialiste torontois des mouvements sociaux, en révèle les causes dans La nouvelle dictature d’Haïti. C’est comme si le monde n’avait pas pardonné à Haïti d’avoir été en 1804 le premier État noir et le fruit d’une révolte d’esclaves.

Podur est très conscient de la profondeur anthropologique de la question haïtienne. Son analyse montre que la perception que l’on a du pays le plus pauvre des Amériques relève souvent d’un jugement partial sur la condition humaine. N’est-il pas hallucinant de constater que les médias, même ceux de gauche, ont en général accordé un crédit aveugle aux rumeurs sur la corruption et la cruauté de Jean-Bertrand Aristide, premier président d’Haïti démocratiquement élu et ayant joui d’un vaste appui populaire ?

L’essayiste né en 1977 ne se rallie pas à l’opinion dominante mais à celle de l’avocat afro-américain Randall Robinson et du philosophe canadien Peter Hallward. Ceux-ci défendent le prêtre laïcisé inspiré par la théologie de la libération, héros des miséreux et victime du coup d’État de 2004.

Hallward résume on ne peut mieux les choses. Le renversement d’Aristide lui apparaît comme « la confirmation d’une thèse récurrente dans la presse occidentale : les pauvres Noirs demeurent incapables de se gouverner eux-mêmes ».

Le président devait révéler qu’en 2004 les États-Unis l’avaient kidnappé. Lors de son retour momentané d’exil après le séisme de 2010 qui dévasta Haïti, il se montra discret sur le fait dans une interview que Podur rapporte et où l’on ne dénote nulle rancoeur chez un homme surtout inquiet de l’avenir de son pays.

L’essayiste juge qu’il est trop facile de blâmer Aristide et la masse d’indigents qui le vénèrent à cause du souci que le président avait de corriger la terrible inégalité sociale en Haïti. Son argumentation est sans réplique : « Comme le développement économique d’Haïti n’a jamais été entre les mains des Haïtiens eux-mêmes, on ne peut leur reprocher leur mauvaise gestion. Lorsqu’un gouvernement démocratique souverain sera à la tête du pays, on en reparlera. »

Or, le coup d’État et le séisme ont permis une occupation onusienne avec la participation de la France, du Canada et surtout des États-Unis pour renforcer l’alliance entre ces pays et la minorité haïtienne privilégiée en étouffant un mouvement populaire incontrôlable. La colère des miséreux déconcerte même des organisations progressistes venues les aider en les dominant.

La leçon du livre de Podur crève les yeux : la misère d’Haïti reste, plus que toute théorie de gauche, le défi le plus criant à l’ordre économique mondial.

Les Nations unies réagissent enfin, mais de la pire façon possible, en créant une force multinationale vouée à soutenir les auteurs du coup d’État

La nouvelle dictature d’Haïti. Coup d’État, séisme et occupation onusienne

Justin Podur, traduit de l’anglais par Geneviève Boulanger, Écosociété, Montréal, 2016, 248 pages

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