La mort en direct, façon YouTube

Ghislain Taschereau
Photo: Mireille Gravel Ghislain Taschereau

Existe-t-il plus féroces critiques du milieu de la télévision que ceux qui y ont déjà oeuvré ? Il existe, en tout cas, peu de romanciers populaires larguant autant de vitriol sur leur petit écran que Ghislain Taschereau. En vitupérant à grands jets de cynisme noir une télé droguée à l’image-choc, l’ex-Bleu Poudre emploie les mots et le ton de celui qui décrirait la lie de la société.

Derrière sa webcam, Thomas Bernedi, lui, parle avec l’aplomb d’un homme qui ne badine pas. Si les utilisateurs de YouTube ne lui fournissent pas d’ici sept jours une raison valable de rester sur Terre, c’en est fini, le quinqua se suicide. « Vous croyez que j’ai tort de vouloir me donner la mort ? Vous êtes persuadés que la vie en vaut la peine ? […] Vous êtes tellement convaincus que vous croyez pouvoir me faire changer d’idée ? Me faire renoncer à mon projet ? Eh bien, soit ! Je vous offre la possibilité de me sauver la vie », assure-t-il devant la lentille.

Les messages qui émergeront sur les réseaux sociaux, mélange d’attaques violentes, d’affligeantes banalités et de syntaxe à faire pleurer un Bescherelle, ne feront que cimenter ce qu’il supposait de plus dégueulasse ou décourageant chez ses semblables.

Il faudra qu’un dénommé De L’Étoile, illuminé mû par le désir de racheter symboliquement la disparition de son enfant dans un sacrifice, et Ludovic, adolescent participant à une téléréalité d’espionnage, le pourchassent, pour que le funeste vlogueur n’enfonce pas un fusil dans sa bouche. Du moins, peut-être.

Outrance et caricature

 

La télé en bête et ultime lieu de triomphe de l’émotion sur la vérité, Internet en déversoir de la médiocrité ambiante, la foi ardente comme passeport vers la folie assassine : Ghislain Taschereau achète vraisemblablement ses idées dans un magasin d’occasion. Heureusement que son art tient moins de l’originalité d’une pensée que de l’outrance et de la caricature, des outils dont il use avec la brutalité d’un Pierre Falardeau, période Elvis Gratton 2 ou 3.

Entre le scabreux, le scatologique, le carnavalesque et le réellement tragique, la causticité du père de l’inspecteur Specteur ne tolère que très peu la lumière. Rare soupape : l’humour acide des quelques chapitres décrivant par le menu les épisodes d’Espion, sorte de Course destination monde dans laquelle le monde aurait été remplacé par une série de volontaires ayant consenti à ce que des vidéastes amateurs les épient.

Dans Étoiles tombantes, les victimes de la perversité télévisuelle sont consentantes. Le talent de ceux à qui on promet de tutoyer les cimes du succès n’est qu’un prétexte pour l’animateur, qui se prélasse dans son éclairage. Rien n’est assez précieux, encore moins le drame humain, pour ne pas servir de chair à cotes d’écoute (non, Étoiles tombantes n’est pas un pamphlet sur la première saison de l’émission La Voix).

La colère de Taschereau, certes sans nuance, et son regard désespéré tourné vers un monde aux précipices de la fin du monde, possède la subtilité d’un brûlot punk. Elle pourrait aussi avoir l’effet cathartique d’une chanson de Vulgaires machins chez ceux qui, tout en se méfiant des discours chagrins et des prédicateurs d’apocalypse, ne peuvent s’empêcher de régurgiter le système lorsqu’ils se retrouvent, par inadvertance, devant une de ces abrutissantes émissions à la chaleur desquelles tant de gens s’anesthésient.

La boîte qui produisait l’émission Espion avait mandaté Maude Ranger, la jeune assistante à la production, afin qu’elle déniche les cibles que les participants allaient devoir espionner tout au long de la saison. Les critères de sélection étaient clairs : on recherchait des personnes de belle apparence, dynamiques et extroverties. L’âge importait peu, car on préférait avoir affaire à un vieil excentrique maniaque de pétanque plutôt qu’à un jeune zombie branché à sa console de jeu vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Étoiles tombantes

Ghislain Taschereau, Éditions Goélette, Saint-Bruno-de-Montarville, 2015, 432 pages

À voir en vidéo