La chaîne du livre est efficace, selon le milieu

Il y a eu une Commission parlementaire sur le prix du livre neuf et d’abondantes discussions, pas toujours élégantes, sur la loi 51, qui protège au Québec depuis 1981 toute la chaîne du livre. Longtemps après ces débats, voilà une évaluation de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) — commandée en 2012, mais rendue publique seulement lundi dernier — qui pose un diagnostic. Résultat ? La loi 51 est efficace, majoritairement jugée de façon positive par l’industrie. Elle doit être maintenue, et le respect de ses critères, mieux contrôlé. Mais personne ne s’entend sur la manière d’y intégrer la définition du livre numérique, désormais nécessaire au marché du XXIe siècle.
Cette Évaluation de la Loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre et étude d’impact du marché du livre numérique est dirigée par le spécialiste des industries culturelles Christian Poirier. Elle inclut l’analyse de différentes statistiques ainsi que de 43 entretiens avec divers acteurs du milieu. La recherche, par la bande, dresse un rare portrait du milieu du livre québécois, incluant auteurs, éditeurs, libraires, diffuseurs-distributeurs, bibliothécaires et spécialistes. N’y manqueraient, peut-être, que les lecteurs.
L’étude, réalisée au coût de 100 000$, constate l’évolution de la filière du livre de 1980 à 2013, où certains secteurs ont évolué de manière marquée. Le nombre d’éditeurs agréés, par exemple, est passé de 59 à 163 au cours des trois dernières décennies, engendrant dans l’élan une présence hors des grands centres en progression de 300 %, passant de 4 à 19 éditeurs.
Globalement, le rapport constate que la loi sur le livre est très bien vue dans le milieu, sinon par les écrivains qui se sentent lésés d’en être absents. Touchant tous les maillons de la chaîne du livre, 92 recommandations sont émises. On y suggère par exemple qu’afin d’être agréées, les librairies devraient devoir mettre en évidence la littérature dès l’entrée du magasin, même si le besoin d’offrir d’autres produits culturels est reconnu. Les indications concernant le nombre de pages des livres devraient être éliminées de la définition du livre. La situation des maisons d’édition scolaires qui font également des livres jeunesse gagnerait à être clarifiée. Une réflexion devrait être faite sur l’intégration potentielle des bibliothèques universitaires et des manuels scolaires à la loi. Et le contrôle de l’application des divers éléments de la loi, qui devrait être évaluée et révisée beaucoup plus fréquemment, devrait être resserré. Entre autres.
Un flou numérique
Si tous les acteurs interrogés veulent une législation pour le livre numérique, il n’existe pas de consensus sur la voie à suivre pour y arriver. Pas plus que de définition consensuelle de ce livre numérique. Mais se dégage l’idée que, sur le plan légal, ce bouquin dématérialisé devrait être considéré comme un équivalent du livre imprimé.
Le Québec serait-il donc en retard sur la voie du livre électronique ? La revue de la littérature scientifique actuelle révèle qu’il n’y a pas, ailleurs non plus, de désignation consensuelle du livre numérique. Et à part en France, aucun cadre législatif intégral n’existe dans le monde. Il faut dire, comme le rappellent les chercheurs, que « la distinction entre le livre imprimé et le livre numérique dépasse […] la seule question du média pour s’étendre à tous les éléments qui constituent l’écosystème du livre, depuis la création jusqu’à la réception du contenu, en passant par la production, la mise en marché, la distribution-diffusion et le cadre législatif. » La définition devient alors fort difficile à arrêter.
Le rapport de l’INRS sera pris en compte dans « l’important exercicequi consiste à déterminer si des modifications réglementaires et législatives sont nécessaires pour assurer l’essor du livre et de son industrie », a assuré par communiqué la ministre de la Culture, Hélène David. « La réflexion ministérielle en cours est très complexe et nécessite d’être bien documentée et analysée de différents points de vue. »
Denis Vaugeois n’a pas eu accès au rapport
Pour préparer son propre rapport sur la loi 51, l’ex-ministre et éditeur Denis Vaugeois n’a pas pu consulter le travail de l’INRS : Québec ne lui a pas transmis les résultats des travaux du comité, qui s’intéressait pourtant aux mêmes enjeux.
Joint mardi, M. Vaugeois venait d’imprimer le rapport de l’INRS, qu’il demandait pourtant depuis le mois d’avril. « Je savais que le comité existait, et j’ai demandé le rapport dès que la ministre [de la Culture] Hélène David m’a approché. Mais on m’a dit qu’il n’était pas disponible. »
Or, les travaux du groupe de travail dirigé par M. Vaugeois sont pratiquement terminés. Pourra-t-il encore s’inspirer des recommandations de l’INRS ? « Je ne doute pas que la lecture du rapport de l’INRS sera intéressante, mais je suis rendu à la fin de mon travail. J’ai déjà commencé à rédiger. »
Il remettra son propre rapport à la ministre le 30 janvier 2016. Celui-ci ne sera pas rendu public, « à la demande du ministère », indique M. Vaugeois. Son mandat était de faire une « réflexion sur la mise à jour de la loi » dont il est le père.
Le cabinet de la ministre David a indiqué en fin de journée que le mandat du comité de l’INRS allait jusqu’au 31 décembre 2015, et que le rapport a été rendu public dès que possible.