L’Amérique accessible et rutilante de Joël Dicker

Joël Dicker signe un roman sécurisant, sobre.
Photo: Patrick Kovarik Agence France-Presse Joël Dicker signe un roman sécurisant, sobre.

Voyez la couverture, elle dit tout. On voit une grosse maison américaine, de style aristocratique victorien, sous la neige. Un portique blanc à colonnes doriques inspire l’équilibre et la tradition. D’innombrables fenêtres sur trois étages laissent passer une lumière chaude, c’est peut-être Noël. Il y a du monde et de la vie dans ce richissime manoir. Bonheur et sérénité basculent dans l’archétype, mondialement popularisé par le feuilleton Dallas.

Joël Dicker fait de même. Avec La vérité sur l’affaire Harry Quebert, best-seller primé autant par les académiciens français que par les lycéens, et jurys suisses, il a fait oublier qu’il était Genevois. Son bouquin s’est vendu à trois millions d’exemplaires, et revoici l’écrivain Marcus Goldman, sans panne sèche, dans Le livre des Baltimore.

Au-dessus de l’image de la couverture, un mot emblématique, « Baltimore ». Là se déroule en partie la fiction, ville et nom de famille fusionnés. Un pas de côté, et Marcus Goldman y raconte l’histoire de trois adolescents, cousins issus de branches inégales : « Deux heures de train à peine, et j’arrivais à la gare centrale de Baltimore. Le transfert de famille pouvait enfin commencer. Je me défaisais de mon costume trop étroit des Montclair et me drapais de l’étoffe des Baltimore. »

Riche Amérique

 

Nous y sommes. Pétri d’admiration pour ce qui brille, là où tout est accessible et rutilant, Marcus se glisse auprès de Hillel, un garçon souffreteux, très brillant, et du musclé Woody, orphelin généreusement nanti d’un grand coeur aveugle. Autour du trio, une ruche papillonne. L’essentiel du roman se passe au collège, avant que ne soient campées les années dramatiques de l’université.

Aucun doute, le roman est captivant, les personnages attachants. C’est le contraire d’un livre compliqué. Le narrateur vous promet le « Drame » dès le début, vous saurez tout à la fin. Avant que la famille n’explose, tout est tricoté avec la laine du roman d’initiation, en des épisodes dont J.K. Rowling n’a pas l’exclusivité. Mais pas de fantasy chez Dicker ; l’invraisemblable collège fait un brouet romanesque amusant de tolérance et d’oppression. Parfait pour vos ados.

Amour, délices et mort

 

C’est un pavé à dévorer en quelques heures, détente garantie. L’impact culturel de tels romans n’est pas du côté de la grande littérature, mais vous tenez un habile magicien de la fiction, qui mènera le lecteur aussi béatement que le fit, avant lui, la Canadienne Mazo de la Roche, avec sa très fameuse série des Jalna, dans les années 1950 et subséquentes.

Ces Jalna, ou les Chroniques des Whiteoak (Whiteoak Chronicles), n’ont-ils pas donné des bonheurs de lecture inoubliables ? Il y avait plus de 12 millions d’exemplaires vendus à sa mort, en 1961, et une centaine d’éditions en langues étrangères. Merci, Mazo de la Roche, pour ces moments de rêve. Et c’est le même plaisir léger, lire Dicker avec ses grosses ficelles solides. Il tient sa promesse et sa barre : amour et fraternité, bagarres et meurtre, le plat se laisse dévorer.

On aura beau dire que le luxe et la quiétude très patrouillée de l’Amérique, avec ses manoirs à six millions de dollars, n’est que rêve surfait de pacotille, oui la chimie de fortunes colossales, qui rime avec sales, oui l’élixir capitaliste au baume trouble, oui les formules gagnantes et prévisibles du roman-feuilleton, avec ses matchs de foot, ses amourettes et les mauvais coups, oui sa starlette au sex-appeal foudroyant, polarisant ados et hommes mûrs, c’est trop. Mais oui, les secrets de famille et les effondrements à même l’excès du bien beurrant toutes chosesvues ou touchées par ces demi-dieux, ça marche.

Incontournable Amérique, ramenée à ses clichés, à sa morale, à ses moeurs. Dicker a 31 ans. La plage d’Alex Garland a été un best-seller de routard, au tournant du siècle dernier ; scénariste, il n’a pas répété l’exploit. D’une certaine façon, Houellebecq lui a succédé, un cran plus haut du côté politique. Quant à Dicker, il signe un roman sécurisant, conservateur. Qu’il soit parfait pour qui s’en saisit va avec l’image publique de l’auteur, ambassadeur de Swiss Air, qui prétend ingénument avoir écrit Le livre des Baltimore très vite, en avion, en égarant plusieurs fois son ordinateur.

Le livre des Baltimore

Joël Dicker, Éditions de Fallois, Paris, 2015, 479 pages

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