La mort comme leçon de vie

On le sait, Marie Laberge a toujours été frileuse quand il s’agit de parler de son intimité. Ce n’est pas pour rien qu’elle a toujours privilégié la fiction.
Photo: Pedro Ruiz Le Devoir On le sait, Marie Laberge a toujours été frileuse quand il s’agit de parler de son intimité. Ce n’est pas pour rien qu’elle a toujours privilégié la fiction.

Un roman sur le suicide. Et un essai personnel sur la force de la vie. Marie Laberge publie les deux en même temps. Comme si plonger dans la noirceur absolue nécessitait une forme de protection, devait s’accompagner de son envers, d’une remontée vers la lumière ?

À première vue, les deux ouvrages sont à l’opposé l’un de l’autre. À première vue seulement. S’ils empruntent des chemins différents, des moyens dissemblables, Ceux qui restent et Treize verbes pour vivre se renvoient la balle, se recoupent, se répondent. Et au final, s’éclairent l’un et l’autre.

Un homme de 29 ans s’est suicidé. Retrouvé pendu dans la maison de campagne de ses parents. Pas un mot d’explication, aucune lettre d’adieu. Aucun signe avant-coureur non plus. Comment est-ce possible ?

Jamais nous ne sommes dans la tête du suicidé. Ce n’est pas tellement du suicide, en fait, qu’il est question dans ce roman, mais du cataclysme qui s’en suit pour les proches. Des ravages, des conséquences, à long terme, pour ceux qui restent.

Nous sommes 15 ans après le drame. Tour à tour s’expriment la maîtresse, l’épouse, le père. On mesure aussi l’impact sur la mère. Et sur le fils, qui avait cinq ans à l’époque, et à qui on a fait croire, depuis, que son père était mort dans un accident.

Alternance entre présent et passé. Comment ils se comportent aujourd’hui, ce qu’ils ont fait de leur peine avec le temps, comment ils ont réagi sur le coup. Toutes les étapes qu’ils ont traversées, chacun à leur façon : colère, déni, culpabilité, enfermement dans la folie…

Alternance entre différents niveaux de langue. Alternance entre témoignages, narration omnisciente et dialogues. Brisures de rythmes constantes. La femme de théâtre et la romancière font corps parfaitement : Marie Laberge nous tient, ses personnages nous happent. Les 100 premières pages, du moins, passent en coup de vent.

Ensuite, une fois bien accrochés, difficile de résister. Même si ça ralentit un peu, et que les considérations psychologisantes se font parfois pesantes. Mais on ne pourra pas dire que la romancière ne va pas au fond des choses.

 

Ce qu’on retient, ce qui demeure et demeurera toujours pour les proches du suicidé : l’incompréhension. Même parmiceux qui ont fini par se résoudre à accepter le geste de celui qui a choisi de mettre fin à ses jours. Tous n’ont pas la même force, le même ressort, la même énergie. Mais tous sont placés en face de leur propre vie, sont mis devant la responsabilité de leur vie.

Ainsi, témoigne le père : « Sylvain a commis un acte désespéré. L’était-il ? Sans doute. Il n’a rien dit, rien écrit, rien laissé pour nous aider à comprendre. Ça signifie peut-être qu’il ne souhaitait pas être deviné, compris ou entendu. Ce qui ne me rend pas moins responsable. De ma vie. »

C’est exactement, à peu de mots près, la conclusion de Treize verbes pour vivre. Sans qu’il soit pour autant question de suicide comme tel. Marie Laberge confie à la fin de ce livre que, face à la mort des autres, elle a toujours cherché la vie.

« Les cimetières sont encore des lieux que je fréquente et que j’aime, écrit-elle. Je me promène dans le souvenir de toutes ces vies que je peux imaginer en lisant sur la pierre tombale un nom et deux dates : celle de deux actes solitaires de nos vies. Ces deux dates dont nous avons tous la bravoure, sans avoir à en décider. »

Avant d’adresser un mot à ses lecteurs, elle termine en disant qu’entre les deux, entre naître et mourir, il y a… « notre immense responsabilité : celle de vivre ».

Leçons de vie

 

Voilà bien le propos qui domine les deux ouvrages qu’elle publie. On reconnaît aussi dans son roman, mais mis en action, tous les verbes qu’elle a choisi d’explorer dans son essai — ses verbes fondamentaux à elle : jouir, croire, exprimer, respecter, douter, apprendre, aimer… et bien sûr, mourir. Il y en a treize en tout.

Pour chaque verbe, elle énonce d’abord quelques généralités. Qui peuvent se donner à lire comme des leçons de vie. Et qui parfois peuvent nous sembler frôler l’évidence. Mais ce qui rend l’ouvrage fort intéressant, éclairant et incarné, c’est que pour chaque verbe, l’auteure du Goût du bonheur ajoute une dimension personnelle : la résonance qu’il a dans sa vie à elle.

On le sait, Marie Laberge a toujours été frileuse quand il s’agit de parler de son intimité. Ce n’est pas pour rien qu’elle a toujours privilégié la fiction. Tel qu’elle l’exprime ici, ça se traduit ainsi : « J’écris pour témoigner, mais pas pour avouer, m’expliquer ou, pire, me répandre. »

« Mes secrets me sont précieux », insiste-t-elle dans Treize verbes pour vivre. Qu’on ne s’attende donc pas à un grand déballage, à des révélations croustillantes, époustouflantes. Néanmoins, ici et là, certains passages nous permettent de la voir sous un jour nouveau. Ou du moins, de mieux saisir celle qui se définit comme une éternelle optimiste, dotée d’une redoutable énergie : « Il y a deux moments dans la vie où l’abandon m’est essentiel pour assurer la réussite de l’entreprise : l’amour physique et la création. »

Concernant son enfance, notamment, au sein d’une famille nombreuse, face à sa mère, entre autres : « Je crois que le verbe “espérer” est entré dans ma vie avec ma mère, ce qui remonte pas mal au débutde mon histoire. J’espérais la rendre heureuse. J’ignorais que c’était une mission impossible, ma mère n’étant pas douée pour ce genre de choses. »

Les confidences se font avec parcimonie, succinctement, sans appuyer. Certaines sont extrêmement touchantes. Quand il est question de la mort de ses parents, par exemple. De celle de son père en particulier : « Il a passé deux mois aux soins palliatifs, ces rares endroits où la mort est considérée comme un moment essentiel à vivre, deux mois pendant lesquels je restais près de lui la nuit. »

Elle poursuit : « Ses dernières paroles ont été : “Mais qui va me ramener chez moi ? ”, et j’ai répondu “Moi, papa”, en pensant que le garder près de mon coeur serait chez lui. »

Puis : « Cet homme qui posait sa longue main sèche contre mon visage m’avait donné la vie et il m’offrait l’expérience de la mort accompagnée. Ces heures ont compté bien davantage que tous les discours qu’il a pu me servir dans sa vie. »

La mort, comme leçon de vie.

« Si écrire est l’affaire de ma vie, aimer en est l’encre »

Ceux qui restent

Marie Laberge, Québec Amérique, Montréal, 2015, 502 pages / «Treize verbes pour vivre», Marie Laberge, Québec Amérique, Montréal, 2015, 236 pages.

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