Les identités voisines ne sont pas toujours meurtrières

Les prix littéraires 2015 ont été polarisés par l’islamisme radical. Éclipsant les autres sujets, le Moyen-Orient décline son histoire culturelle et politique. Qu’il s’agisse de Mathias Enard, Prix Goncourt, d’Hédi Kaddour ou de Boualem Sansal, Prix de l’Académie française, de Cherif Madjalani ou de Tobie Nathan, sélectionnés aussi, ils articulent la paix et la guerre.

Professeur émérite à l’Université Paris VII, l’ethno-psychologue Tobie Nathan est né au Caire en 1948. Auteur d’une vingtaine de titres, dont l’autobiographie Ethno-roman (Grasset), prix Femina 2012, il a critiqué Freud, a préféré le monde des guérisseurs, des marabouts, le pouvoir des fétiches et des croyances, pour comprendre rêves de vie et de mort.

De l’homme à l’écrivain

Cet écrivain truculent, juif croyant, a quitté l’Égypte, où son père était parfumeur, pour vivre en France en 1958. Naturalisé français en 1969, il a été diplomate au Burundi, en Israël et en Guinée-Conakry. Il parle arabe, bien entendu, et Catherine Clément l’a qualifié de « clinicien de génie ».

Il aime ce qui fait du bien. Jadis situationniste, il s’est éloigné de la psychanalyse structuraliste, dominant l’école française, qui l’a souvent pris à partie. Il aime provoquer : « Le meilleur régime que j’aie connu fut la fin de l’Empire ottoman », âge d’or au début du XXe siècle.

Là il situe son roman, Ce pays qui te ressemble. L’écriture est souple, orale, rythmée et fluide. Il débute au Caire en 1925, après le départ des Britanniques, sous la monarchie qui dure jusqu’en 1952, après la guerre israélo-arabe. Ç’aurait pu être une saga égyptienne remplie d’odeurs du désert et colorée par les moeurs près du Nil ; mais les hommes font les drames.

Rouge sang

 

Ce roman du vrai et de l’imaginaire suit Zohar et Masreya, un frère et une soeur de lait unis par un amour que proscrit le Coran. Ce temps d’une vie empêche cette passion, qui finit dans la déchirure de l’exil. Ce creuset a pourtant été paradisiaque. Après le partage de la Palestine, séparant vainqueurs et vaincus, fabriquant les exclus, a entraîné ici l’émigration massive des Juifs et là le départ de Palestiniens. Le monde venait de basculer, radicalisé pour longtemps.

Dans cette Égypte immémoriale, les peuples ont fourmillé avec leurs religions, une langue commune, et les obédiences, ces dogmes revendiqués, qui ont fini par nourrir des rapports de force. Nathan raconte, de l’intérieur d’une famille juive, les entrelacs de relations joyeuses et fraternelles devenues assassines.

Ce roman n’est pas un livre savant. On pense à Mendiants et Orgueilleux (Joëlle Losfeld, 1955) de cet Albert Cossery né au Caire en 1913 et mort à Paris en 2008. Sans la guerre, tous deux auraient été Égyptiens. À cause d’elle, ils sont devenus Français, auteurs d’oeuvres différentes. Cossery, au petit peuple arabe attachant ; Nathan, aux destins ravagés. Le racisme n’a pas toujours existé en Égypte. Mais les Frères musulmans l’y ont ramené.

Ce pays qui te ressemble

Tobie Nathan, Stock, Paris, 2015, 538 pages

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