Éteindre la dette écologique

Né récemment en Amérique latine dans les écrits des tenants d’une économie progressiste, le concept d’extractivisme fleurit au Québec, où il a inspiré l’ouvrage collectif Creuser jusqu’où ? Il prend l’ampleur d’une troublante vision du monde qui glorifie l’extraction des ressources naturelles. Cette réaction désespérée du capitalisme au concept écologiste de la décroissance se manifeste, selon David Murray, « comme si la Terre était un puits sans fond ».
Publié sous la direction de deux intellectuels montréalais, le sociologue Yves-Marie Abraham et l’historien David Murray, le livre rassemble les textes d’une quinzaine de spécialistes, surtout québécois. Il n’invite à rien de moins qu’« une décolonisation de notre imaginaire que nous lance le mouvement de la décroissance ».
Les collaborateurs pensent que seule une limitation de la croissance économique de la planète peut dissiper la menace de l’épuisement des ressources qui plane sur son proche avenir. Laura Handal Caravantes, membre d’un organisme québécois, l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), va jusqu’à expliquer qu’un néoextractivisme, pratiqué par des gouvernements sud-américains à bien des égards progressistes, va subtilement à l’encontre de cet objectif.
Inspirée des travaux d’un spécialiste uruguayen de l’écologie sociale né en 1960, Eduardo Gudynas, l’un des instigateurs de l’antiextractivisme, son analyse est riche de leçons, même pour le Québec. La chercheuse montre que des chefs d’État, pourtant de gauche, Morales en Bolivie, Chávez et Maduro au Venezuela, Correa en Équateur, ont exploité les mines et les hydrocarbures pour, par la richesse ainsi générée, lutter de façon fallacieuse contre la pauvreté.
La dégradation écologique provoquée par le néoextractivisme nuit à la population, souligne-t-elle avec pertinence, à l’égal de la pauvreté qu’il vise à combattre. Le bien-être ne se résume pas à l’argent. Il suppose une foule d’autres choses, comme la qualité de l’environnement et la santé.
Des emplois qui coûtent cher
L’idée fixe du gouvernement québécois actuel de créer des emplois par des aventures extractivistes, comme celles du Plan Nord ou de l’île d’Anticosti, et de réduire la dette financière publique néglige, comme en Amérique latine, la croissance d’une obligation infiniment plus lourde : la dette écologique. Comme l’indique le collaborateur Nicolas Sersiron, celle-ci est le résultat des désastres environnementaux dus aux « pillages extractivistes » commis « au fil des siècles » par la colonisation, la dépossession.
Elle provient aussi du réchauffement planétaire, fruit ultime de la surcroissance capitaliste. En 1893, le poète José-Maria de Heredia, dans son célèbre sonnet sur l’Amérique des conquistadors, n’imaginait pas que les « étoiles nouvelles » qu’il décelait cachaient un si sombre avenir.