Les auteurs sont-ils condamnés à la surproduction?

Simon Boulerice affirme remplir « sa vie par l’écriture. Pourquoi s’en priver ? »
Photo: Annik MH De Carufel Le Devoir Simon Boulerice affirme remplir « sa vie par l’écriture. Pourquoi s’en priver ? »

Dans les années 1970 et 1980, la littérature jeunesse québécoise connaît une véritable effervescence. Les éditions Le Tamanoir — qui deviendront La courte échelle —, feu Ovale et Québec Amérique ouvrent leurs portes, et déploient effort et passion pour offrir des textes de qualité aux enfants. Plusieurs auteurs et illustrateurs participent alors à la diversité de cette toute nouvelle littérature. Robert Soulières en est. Il rappelle qu’à l’époque, le nombre global de publications se limitait à 12 à 15 livres pour petiots par année. Aujourd’hui, ce chiffre est passé à 725. Embouteillage ? Inévitablement.

Daniel Sernine, auteur et directeur de la revue Lurelu, abordait le sujet dans l’éditorial de son dernier numéro. Selon lui, certains éditeurs « ont abaissé le seuil d’acceptabilité », alors que d’autres, « plus mûrs, plus aguerris ou moins perméables à l’esprit de meutes, sont conscients que tout ce qu’ils publient n’est pas génial, mais ils font la moyenne ». La ligne adoptée par les différentes maisons d’édition semble tendre davantage vers une saturation de l’offre qu’une sélection rigoureuse de ce qui leur est soumis. Mais comment le marché peut-il absorber tout ça ?

L’auteur et éditeur Robert Soulières estime qu’il y a 30 ans, entre 800 et 1000 livres étaient envoyés d’office aux librairies. Aujourd’hui, faute d’espace et de temps — les livres doivent se vendre vite et ont une durée de vie limitée —, c’est entre 400 et 450 titres qui sont livrés. Les ouvrages n’ont même pas le temps d’être vus que déjà ils disparaissent.

Yves Nadon, auteur et éditeur, croit que le marché est peut-être assez fort pour contenir cette abondance, « mais il faudra élaguer ». Pour Soulières, « il y a trop de productions, ce qui devient un marché difficile et saturé pour les éditeurs… qui ont peine à vendre autant qu’en 2006, par exemple, sans compter les baisses de budget dans les écoles. Sans compter aussi la production française, qui est revenue en force depuis plusieurs années ».

Il faut savoir que le Conseil des arts du Canada subventionne les éditeurs, mais valorise la qualité littéraire, alors que le PADIE encourage plutôt la production. Plus le chiffre d’affaires est gros, plus les subventions seront grasses. Bien sûr, chaque éditeur publie le nombre de livres qu’il veut, mais impossible de fonctionner sans subventions, alors un minimum de titres par année devient nécessaire. Et pour y avoir droit, il faut publier annuellement au moins 15, 16 livres. Dans ce lot, « il y a une courbe naturelle qui joue : 10 % d’excellents livres, 10 % de livres à revoir ou à retravailler. Publier peu, publier mieux… mais il faut vivre aussi, et publier un certain nombre de livres… L’équilibre n’est pas si facile à atteindre… Publish or perish, dit l’adage anglais », affirme encore Robert Soulières.

Et les auteurs ?

Et ces auteurs qui produisent beaucoup ? Quand on demande aux Alain M. Bergeron, Martine Latulippe, Camille Bouchard et Simon Boulerice, ils affirment tous sans hésiter écrire par goût, par choix, par passion, jamais par obligation. Pour Latulippe, impossible d’envoyer un texte si elle n’est pas satisfaite. Même principe pour Bouchard, qui explique que « la crédibilité d’un auteur repose sur la qualité de son travail et non sur la quantité ». Bergeron est, pour sa part, obligé de refuser des collaborations tellement il est débordé, et Boulerice remplit « sa vie par l’écriture. Pourquoi s’en priver ? » La production de ces quatre auteurs varie respectivement entre 7 et 15 titres seulement cette année. Mais ils ont le temps. Voilà sans doute la principale différence entre eux, écrivains à temps plein, et les autres qui écrivent à temps perdu, les soirs et les fins de semaine. « Quand on dispose de tous les jours de la semaine, au rythme qui nous convient, la qualité peut être au rendez-vous même si les publications sont nombreuses. Je le pense sincèrement », exprime Latulippe. Alain M. Bergeron, croit qu’« il y a peut-être trop de publications jeunesse au Québec ces dernières années, mais si on ne prend pas notre place pour essayer [en vain] de faire un certain contrepoids, on sera tout simplement envahi par les productions de l’extérieur ».

Qu’en conclure ? Le marché est saturé, les murs des librairies, plus élastiques que jamais, sont tendus, les éditeurs ont besoin de subventions pour fonctionner. Condamnés reste un bien grand mot, n’empêche que les auteurs doivent produire afin d’éviter d’être noyés dans la marée des arrivages étrangers. La solution pour conserver la qualité ? Le temps, peut-être ? Ralentir, choisir, être plus critique. Et critiquer ?

Nos choix d’activités jeunesse pour le Salon

Tête à tête avec Kitty Crowther. Invitée d’honneur du Salon du livre, la Belge Crowther convie les lecteurs à découvrir ses albums, notamment Mère Méduse, son tout dernier titre — envoûtant —, dans lequel elle aborde la relation mère-fille. Pour les 8 à 9 ans, à la Place Confort TD, mercredi 18 novembre, 10 h 30.

La poésie ? Oui ! Pour mieux s’imprégner de la poésie, la néo-Courte échelle offre un rendez-vous intergénérationnel entre des jeunes du secondaire invités à lire leurs propres textes sur scène en compagnie des poètes de renom que sont Élise Turcotte, Roger Des Roches et Louise Dupré. Pour les 12 à 16 ans, à la Place Confort TD, mercredi 18 novembre, 11 h 30.

Michel Noël et les légendes amérindiennes. Dans cet entretien, l’auteur parle de ses récentes publications, notamment Pineshish, la pie bleue, un conte amérindien tout juste paru chez Isatis. Pour une plongée au coeur d’un monde signifiant. Pour les 8 ans et plus, au pavillon Histoire du Canada, jeudi 19 novembre, 11 h.

Quatre auteurs, un seul livre. Martine Latulippe, Alain M. Bergeron, François Gravel et Johanne Mercier se réunissent autour de leur dernière collaboration, parue aux éditions Fou Lire. Un récit à quatre voix ? À découvrir avec eux. Pour les 10 à 14 ans, à la Place Confort TD, samedi 21 novembre, 10 h 30.

De l’écureuil au chat, du chat à la mouche. Une entrevue avec Mélanie Watt, l’auteure de Chester, qui parlera de l’inspiration et de la démarche artistique entourant sa nouvelle création, La mouche dans l’aspirateur. Pour les 7 ans et plus, à la Place Confort TD, dimanche 22 novembre, 10 h 30.



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