Souvenirs et pépites d’or

Depuis quelques années, Jean-François Beauchemin propose des carnets d’écrivain.
Photo: Annick MH De Carufel Le Devoir Depuis quelques années, Jean-François Beauchemin propose des carnets d’écrivain.

Quelques pas dans l’éternité, Une enfance mal fermée (Québec Amérique, 2013 et Leméac, 2014)… Depuis quelques années, Jean-François Beauchemin propose des carnets d’écrivain qui disent le temps qui passe, puisent dans sa mémoire, méditent, observent le ciel, la nature et les animaux, s’interrogent sur Dieu, sur l’amour. Et sur lui-même comme être humain, comme écrivain.

Objets trouvés dans la mémoire se situe dans cette continuité, s’offrant comme une sorte de journal de l’âme, du corps et de l’esprit. Mêmes thèmes. Et même présence lumineuse de sa compagne de vie à ses côtés. Même attachement à sa famille, à ses parents disparus, auxquels il a déjà rendu hommage dans des ouvrages distincts.

Tout cela fait partie de son noyau dur d’écrivain : « Parce que le réel ne suffisait plus à les expliquer, j’ai déplacé mes obsessions et les ai mises dans mes livres. Le ciel nocturne, la mort, le corps souffrant, le chagrin, la joie, le mystère, quasiment toutes mes méditations se rapportant à ces choses-là sont depuis quinze ans bien à leur place dans la vingtaine de pages que j’écris chaque jour. »

On pourrait s’en lasser. On pourrait craindre, en ouvrant chaque nouveau livre, d’être déçu. Et pourtant non. Même si, dans l’ensemble, on n’est pas nécessairement convaincu, interpellé, on finit toujours par y trouver des perles. Cette fois, on pourrait parler de pépites d’or.

Ce qui frappe aussi, et rassure et enchante, c’est qu’on a l’impression cette fois que l’écriture de Jean-François Beauchemin transcende l’élégance qui caractérise habituellement sa plume. On ne sent plus que l’auteur fait du style. Le style est là, bien sûr, reconnaissable. Mais en plus fluide. Plus épuré. Plus simple ?

Parlant de son travail d’écriture, il note : « Le plus difficile n’est jamais de trouver les mots. La plupart des miens me viennent d’une espèce de simplification de mon existence, que je n’ai d’ailleurs pas voulue, mais qui s’est imposée à mesure que j’ai vieilli. »

Cette simplification venue avec l’âge se sent concrètement dans l’écriture. Même quand il aborde le mystère, l’étrangeté. De plus en plus accessible, l’écrivain de 55 ans ?

« J’ai finalement pris mon parti de n’être pas un écrivain populaire. Comme si l’objectif d’autrefois consistant à m’adresser au plus grand nombre s’évanouissait à présent, et qu’écrire sans but des livres à peu près libérés de toute fiction, lus par quelques milliers de lecteurs assidus, me suffisait. »

C’est peut-être parce qu’il a renoncé à s’adresser au plus grand nombre qu’il y parvient, se dit-on… L’ensemble paraît plus serein, aussi. Même quand des situations tristes ou difficiles sont abordées, on ne sent plus la douleur, la souffrance jeter son manteau sombre et lourd sur nos épaules. L’auteur semble plus détaché. Dans le sens de plus détaché de lui-même. Davantage tourné vers l’autre, peut-être.

Plus léger ? Certainement pas dans le sens de divertissement, ça non. Les anecdotes, les parcelles de souvenirs racontées, quoique témoignant d’un talent certain de conteur, sont avant tout porteuses de sens, d’humanité, de sensibilité partagée. Il y a là quelque chose d’apaisant.

Les fêlures

 

L’auteur évoque un Gilles Vigneault jeune, étudiant au collège de Rimouski, qui joue souvent au hockey à l’aréna. « C’est en criant pour encourager ses coéquipiers qu’il écorche sa voix, demeurée depuis ce temps toujours un peu esquintée. »

Jean-François Beauchemin de poursuivre : « Je pense qu’il n’est pas si mauvais pour chacun de nous de porter au fond de lui-même quelque chose de légèrement brisé. Une part de mon être est à jamais endommagée. Tous ceux que je connais traversent eux aussi l’existence avec un élément manquant ou affaibli de leur être. »

Conclusion : « Une solidarité fraternelle naît de ces fêlures universellement ressenties. C’est comme si nous partagions tous ensemble le poids de notre nature humaine, que nous répartissions sur nos épaules le fardeau neigeux de notre présence dans le monde. »

Au passage, l’auteur évoque ses voyages, dont une nuit d’épiphanie dans le désert en Arizona. Il revient sur ses conférences données dans différentes universités. Sur ses peines d’amour. Sur son coma, survenu il y a une dizaine d’années, qui a donné lieu à La fabrication de l’aube (Québec Amérique, 2005). Et sur sa rencontre avec celui qui allait adapter au cinéma son roman Le jour des corneilles (Québec Amérique, 2013).

Le tout parsemé d’allusions ou de citations d’écrivains qu’il affectionne, sans que jamais ce ne soit plaqué. Chaque texte, contenu dans une page ou deux, dépasse en densité, en réflexion ou en émotion l’histoire racontée.

Pépite d’or parmi les pépites d’or : L’esprit de ma mère. L’auteur raconte qu’après la mort de sa mère, il s’est retrouvé avec ses frères et sa soeur pour faire le partage des objets qui lui avaient appartenu. Rien ne l’intéressait, c’était des objets « vidés de leur substance » pour lui. Jusqu’à ce qu’il tombe sur le service de porcelaine que sa mère sortait à Noël et pour les dimanches de fête. « Un vieux feu de sciure se ranima au fin fond de ma poitrine. »

Il a rapporté la grosse boîte chez lui. Et l’a sortie pour se servir un repas chaque fois qu’il a eu le coeur brisé. « S’il le fallait, je n’hésiterais pas à me servir de nouveau de tout cela. Je retrouve dans ces quelques objets liés au passé le chant fraternel de ma vie, et l’image intacte de ces grandes pièces bien tapissées où commence l’amour. »

L’auteur sera au Salon en séance de signatures les jeudi 19 et samedi 21 novembre.

Il me semble que tout dans l’aventure humaine est une question de temps.

Objets trouvés dans la mémoire

Jean-François Beauchemin, Leméac, Montréal, 2015, 184 pages

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