Requiem pour un accompagnateur

Gilles Marcotte laisse un regard unique sur la culture québécoise et des livres considérés comme des incontournables pour ceux qui cherchent à mieux situer la culture québécoise.
Photo: Jacques Grenier Le Devoir Gilles Marcotte laisse un regard unique sur la culture québécoise et des livres considérés comme des incontournables pour ceux qui cherchent à mieux situer la culture québécoise.

Journaliste chez les universitaires et universitaire chez les journalistes, l’essayiste Gilles Marcotte est décédé le 20 octobre à Montréal. Critique littéraire, écrivain, mélomane, professeur, journaliste, nouvelliste, il laisse un regard unique et des livres considérés comme des incontournables pour ceux qui cherchent à mieux situer la culture québécoise.

Sa plume « était très libre, très peu universitaire, très lisible », observe Michel Biron, professeur à l’Université McGill.

« Il n’était pas complaisant, se montrait même incisif, avec un humour à l’occasion dévastateur », note pour sa part l’essayiste et poète Pierre Nepveu, qui dit avoir été marqué par les analyses rigoureuses et élégantes que publiait Marcotte sur la poésie québécoise dans les journaux. La poésie, Marcotte ne cessera de s’y intéresser. En 2000, ce passionné de l’oeuvre de Rimbaud avait publié Le lecteur de poèmes.

Le principal livre de Marcotte est peut-être Le roman à l’imparfait (1976). « Pour comprendre l’évolution de la littérature québécoise, ce livre est sans pareil, l’analyse est lumineuse », observe Michel Biron. Marcotte y aborde Réjean Ducharme, Jacques Ferron, Marie-Claire Blais, Gérard Bessette, Jacques Godbout et plusieurs autres. « Je ne pense pas que ce soit dépassé comme analyse. Il avait senti ce qui se passait mieux que quiconque. » Cela se traduit notamment dans le titre d’un autre livre majeur, Une littérature qui se fait (1962).

Largeur d’esprit

Né à Sherbrooke en 1925, Gilles Marcotte fréquente le Séminaire Saint-Charles-Borromée, haut bâtiment de briques rouges qui domine depuis 1875 les hauteurs de la rivière Magog et du centre-ville. Au milieu des soutanes qui hantent les corridors sombres de ce séminaire, il dirige une troupe de scouts parmi lesquels on note la présence de Pierre Bourgault, un jeune homme malingre qu’il retrouvera des années plus tard, toujours placé sous sa direction, mais cette fois au supplément couleur du quotidien La Presse. Car Marcotte fut d’abord journaliste.

« Son parcours était atypique aux yeux d’un universitaire d’aujourd’hui », observe Benoit Melançon, directeur du Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal. « Il avait eu un long cheminement par le journalisme avant de devenir professeur. Cela influençait sa façon de travailler. Ce sont les textes qui l’intéressaient. » Melançon a connu Marcotte comme professeur, collègue et voisin de bureau. À vrai dire, on ne compte plus le nombre de professeurs qu’il aura formés, sans parler des étudiants.

« Il est un des premiers à accompagner la littérature québécoise, à juger qu’elle en vaut la peine, et surtout à continuer de s’y intéresser depuis les années 1950. Gilles Marcotte a vraiment accompagné — c’est le mot juste — la naissance et le développement d’une littérature », explique Benoit Melançon.

Son travail, considérable sur la place publique, se poursuit de façon souterraine. Dans les archives de l’écrivain, Michel Biron a eu la surprise de découvrir une très volumineuse correspondance où, très généreux de son temps et de ses conseils, il offre son appréciation de manuscrits qui lui sont envoyés ou encore discute librement avec des écrivains venus de tous les horizons qui s’empressent de le consulter. « Il répond à tout le monde ! »

Gilles Marcotte a travaillé d’abord à La Tribune, le quotidien de Sherbrooke, puis au Devoir de 1949 à 1955, où il reviendra à l’occasion, comme critique et chroniqueur, jusqu’au début des années 2000. Pendant de nombreuses années, on le lira aussi dans les pages du magazine L’actualité, mais aussi dans des revues littéraires telles Les Écrits du Canada français, L’Inconvénient et Liberté. Dans cette dernière, il donne à lire nombre de textes consacrés à la musique. « Chez lui, explique Michel Biron, on trouve des disques partout. La musique était une passion qui a contribué à sa largeur d’esprit. » Gilles Marcotte sera aussi réalisateur à Radio Canada, où il écrit pour la télévision à la fin des années 1950.

Dans les années 1960, Marcotte dirige les pages du supplément couleur de La Presse, que l’on connaîtra sous le nom du Magazine Perspective, où gonfle un fort ferment indépendantiste. Marcotte encadre des personnalités fortes, dont Pierre Bourgault, Lysiane Gagnon, Pierre Vallières, tous farouchement indépendantistes. « C’était très libéral comme atmosphère », dira-t-il, tout en admettant que ces jeunes militants qui le surnomment « le chanoine » ont à l’occasion abusé de son ouverture d’esprit.

Fédéraliste convaincu

 

Nombre de témoignages soulignent la rigueur avec laquelle Gilles Marcotte envisagea toujours l’écriture sous toutes ses formes, dans une langue toujours ferme et juste.

« Politiquement, Marcotte était aussi une créature unique, dit Benoit Melançon. C’était un fédéraliste convaincu. Ce type qui accompagnait la littérature québécoise depuis les années 1950 restait très attaché au Canada. Il le disait. Ses collègues étaient tous nationalistes, indépendantistes, ses élèves aussi. Pas lui. » Il écrit dans Cité libre, la revue militante antiduplessiste fondée par ses amis Gérard Pelletier et Pierre Elliott Trudeau.

Gaston Miron, qui l’estimait énormément, disait de son ami Marcotte qu’il était l’homme qui connaissait le mieux la littérature québécoise, mais qu’il était paradoxalement incapable de tirer lui-même les conclusions politiques qu’imposait son savoir encyclopédique.

Gilles Marcotte était aussi très croyant. Explications de Michel Biron : « Il avait ce côté religieux, catholique, de ceux qui n’avaient pas cessé de croire, de pratiquer. Ce n’était pas un dévot. Mais il avait une vraie foi, comme Pierre Vadeboncoeur par exemple. Il n’en parlait pas, cela dit », lui qui avait publié un roman intitulé Le poids de Dieu (1962).

Pierre Nepveu considère cet homme « toujours indépendant d’esprit » comme une pièce majeure pour la culture québécoise. « C’était un homme de culture tel qu’on souhaiterait qu’il en existe beaucoup plus. »

En 1997, il reçoit le prix Athanase-David pour l’ensemble de son oeuvre, plus haute distinction littéraire remise par le gouvernement du Québec. Auteur de romans, de milliers d’articles et de dizaines d’essais, Gilles Marcotte a aussi reçu le prix du Gouverneur général, le prix France-Québec, le Grand Prix de la Ville de Montréal et nombre d’autres distinctions. Il souffrait de la maladie d’Alzheimer depuis quelques années. Il aurait eu 90 ans en décembre.

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