Unies contre le sexisme

Julie Rocheleau, mère de «La fille invisible» dont on voit ici une case, est de celles qui appuient le collectif.
Photo: Glénat Julie Rocheleau, mère de «La fille invisible» dont on voit ici une case, est de celles qui appuient le collectif.

Il faudrait peut-être l’écrire dans un phylactère en lettres capitales. Sur fond rouge : la bande dessinée féminine n’existe pas ! Quoi qu’en disent les marchands de bouquins qui cherchent à alimenter le mythe avec leur « marketing genré » pour le moins intéressé.

Ça, c’est un groupe composé de 147 auteures francophones de bande dessinée qui a décidé de le crier haut et fort aujourd’hui pour dénoncer le sexisme ordinaire et la misogynie sournoise qui se seraient, selon elles, emparés du 9e art. Le Collectif des créatrices de bande dessinée contre le sexisme — c’est son nom — veut au passage rappeler que la création est mue par le talent, non pas le sexe, et qu’il serait temps de mettre fin à cette discrimination douteuse et rabaissante.

Plusieurs auteures du Québec, dont Cathon, Julie Doucet et Julie Rocheleau, mais également d’autres plumes majeures du corpus contemporain en Europe — Chloé Cruchaudet, Julie Maroh, Marjane Satrapi, Catel Muller, entre autres — appuient le coup d’éclat.

« La bande dessinée féminine n’est pas un genre narratif, peut-on lire dans une charte qui vient d’être mise en ligne par le collectif pour mieux y exposer, en quelques points, les raisons de leur colère. L’aventure, la science-fiction, le polar, le romantisme, l’autobiographie, l’humour, l’historique, la tragédie sont des genres narratifs que les femmes auteures maîtrisent sans avoir à être renvoyées à leur sexe. Définir les goûts et aptitudes des gens selon leur sexe biologique est un préjugé qui ne repose sur aucune réalité. Les études en neurobiologie et psychologie expérimentale démontrent que le développement cognitif se fait de manière égale chez les deux sexes. »

Les membres du collectif disent en avoir soupé des questions toujours sexuées auxquelles elles doivent régulièrement faire face, mais également d’un cadre nourrissant un clivage homme-femme déplacé, dans un univers historiquement occupé par des hommes, comme bien d’autres milieux d’ailleurs. « Avec ce collectif, nous ne souhaitons pas créer un nouveau fossé, mais plutôt faire de l’éducation populaire pour mettre un terme à ces regards misogynes, à ces commentaires dégradants pour pouvoir enfin passer à autre chose, lance à l’autre bout du fil la bédéiste Julie Rocheleau, qui, cet automne, va livrer La petite patrie (La Pastèque), adaptation, avec la complicité de Normand Grégoire, du roman de Claude Jasmin. Depuis que je suis toute jeune, on pense me faire un compliment en me disant que je dessine comme un homme. Mais c’est faire abstraction d’une réalité qu’il est peut-être temps d’admettre : dans la bande dessinée, il n’y a pas des auteurs femmes et des auteurs hommes. Il y a des auteurs. Point. »

Mars, Vénus et l’universel

Pour le collectif, organiser des prix de la bédé célébrant le travail des femmes, créer des collections de bandes dessinées féminines, tenir des débats publics sur « être femme dans le 9e art » est tout simplement « misogyne ». « Cela crée une différenciation et une hiérarchisation avec le reste de la littérature, avec l’universalité des lectures qui s’adresseraient donc — par opposition — au sexe masculin. Pourquoi le féminin devrait-il être hors de l’universel ? Différencier de la sorte, sur base de stéréotypes seulement, n’a que des effets négatifs sur la perception qu’ont les femmes d’elles-mêmes, sur leur confiance en elles et leurs performances. »

La rédactrice en chef de la revue spécialisée en bande dessinée Planches, Sandra Vilder, nouvelle venue dans le monde du 9e art au Québec, connaît très bien la chanson. « Le Collectif cible un problème qui est sans doute un peu plus criant en Europe qu’ici, où l’équilibre entre les créateurs dans le monde de la bédé est meilleur, dit-elle. Mais les a priori, même si on ne les ressent pas autant, sont également là. Lorsque nous avons lancé la revue [il y a un an, avec Émilie Dagenais], on nous demandait si le regard éditorial de Planches allait être différent du fait que nous sommes des femmes. Pour nous, c’est une question stupide. »

Tout en dénonçant l’exploitation à des fins commerciales d’une bande dessinée « genrée », le collectif des bédéistes contre le sexisme appelle à la responsabilisation de tous les acteurs de la chaîne du livre, du monde de l’édition tout comme des journalistes et commentateurs de la scène littéraire. « Nous attendons qu’ils prennent la pleine mesure de leur responsabilité morale dans la diffusion de supports narratifs à caractère sexiste et en général discriminatoire (homophobe, transphobe, raciste, etc.). Nous espérons les voir promouvoir une littérature qui s’émancipe des modèles idéologiques basant les personnalités et actions des personnages sur des stéréotypes sexués. »

Le groupe encourage également « les libraires et les bibliothécaires à ne pas séparer les livres faits par des femmes ou soi-disant adressés aux filles lorsqu’ils organisent leurs étalages », et ce, afin de respecter le fait que, dans la bande dessinée, comme dans le reste de la littérature d’ailleurs, hommes comme femmes peuvent s’identifier à des personnages imaginés, eux, autant par des hommes que par des femmes. Sans autre forme de discrimination.

Photo: Glénat

Julie Maroh, auteure de Le bleu est une couleur chaude (notre photo), appuie aussi le collectif contre la discrimination de la création dans le 9e art.

Depuis que je suis toute jeune, on pense me faire un compliment en me disant que je dessine comme un homme. Mais c’est faire abstraction d’une réalité qu’il est peut-être temps d’admettre : dans la bande dessinée, il n’y a pas des auteurs femmes et des auteurs hommes. Il y a des auteurs. Point.



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