Le droit à la laideur

«Vieille femme grotesque», de Quentin Metsys
Photo: Domaine public «Vieille femme grotesque», de Quentin Metsys

« Elle est laide à faire peur, laide comme le péché, laide comme un démon. » Cette inscription tirée du Dictionnaire de l’Académie française de 1835 résume l’essentiel : la laideur se décline implicitement au féminin. « Laideron », n’est-ce pas, désigne spécifiquement une femme laide.

Comme toute histoire, celle de la laideur féminine a sa périodisation : initialement, la laideur est féminine du fait que la beauté est ontologiquement accordée au masculin. Puis, la laideur féminine est vue comme une erreur de la nature, accident qui laisse celle qui en est affublée en situation de pitié, comme si elle avait été délaissée, ou dédaignée par une instance — la Nature ou Dieu — qui la lui donne en fardeau. De nos jours, avec tous les moyens (cosmétiques, chirurgicaux) dont on dispose, la laideur est pour ainsi dire vue comme un signe de mauvaise volonté, un manque à soi-même.

Claudine Sagaert se penche sur les différentes modalités qui ont exprimé la laideur au cours de l’histoire. Où l’on voit qu’elle se trouve tour à tour imputée à la célibataire, à l’intellectuelle, aux révolutionnaires et à la féministe, révoltée parmi les révoltées. Monstrueuses, ces femmes le sont parce qu’elles s’autorisent à contester le monde tel qu’il est conçu par les hommes. À elles s’ajoute la femme vieillissante, frappée par une disgrâce à laquelle les hommes échappent pourtant. Et c’est bien ce qui frappe, au long de cette histoire : cette asymétrie entre hommes et femmes. Lorsqu’elles vieillissent, ces dernières revêtent une « face ridée de sorcière »,alors même que les rides des hommes jamais ne les apparentent à des sorciers. Diderot dira : « Le temps ne nous décompose pas autant qu’elles. »

 

L’autre nom du racisme

La laideur est ainsi toujours associée à ce qu’il y a de plus bas : la vieillesse, la pauvreté, la saleté… c’est à cette liste que la femme s’ajoute donc. Et c’est à travers ces associations que la laideur semble autoriser la violence, la justifier, car tandis qu’on prête la bonté à la beauté, on jouxte la vilenie à la laideur ; or, la femme n’est-elle pas censée incarner la vertu ? Aussi, elle a un « devoir de beauté », qui assurera sa rédemption, la légitimation de sa place parmi les hommes, jusqu’à sa célébration artistique.

Si l’émancipation des femmes relègue cette histoire à un « avant », le présent souligne que cette liberté acquise « a néanmoins décuplé l’importance donnée à son paraître » : « De jouissance, [la beauté] est devenue labeur, de satisfaction, elle s’est transformée en souci. » Et parmi ces soucis, celui du poids n’est pas le moindre. Entre le monstre de l’obésité et l’horreur de l’anorexie, la femme qui aspire à la beauté doit sculpter sa silhouette. Et être blanche. Car dans ce lien entre beauté et propreté, l’auteure ne manque pas de soulever les traces du racisme. Les critères de beauté relèvent bien de la culture : au final, c’est nous tous qui en décidons. Pour Fatima Mernissi, la beauté est « une dictature sans dictateur », une dictature qui impose son lot de souffrances à travers maintes techniques d’épilation, de gommage, de lifting, injections de botox et autres liposuccions. « Les femmes consentent à tout », à ces tortures pour échapper à la disqualification. Ce faisant, « elles deviennent les militantes de cette idéologie » de la beauté à tout prix. Quant à la laide, elle « est coupable. Elle est la paresseuse, l’oublieuse de soi qui ne s’est pas donné la peine de corriger son apparence ».

En puisant à de nombreuses sources, littéraires, essayistiques, journalistiques, Sagaert parvient à nous raconter cette histoire de la laideur sous laquelle se terre une latente misogynie. Mais on y rencontre aussi un Tournier qui, dans Le médianoche amoureux, revendique l’égalité : « Oui, les femmes devraient militer pour qu’on leur accorde comme aux hommes le droit à la laideur. »

Histoire de la laideur féminine

Claudine Sagaert, Imago, Paris, 2015, 250 pages

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