L’école québécoise en butte à la laïcité

« Comment faire en sorte que la liberté de religion reconnue par les chartes des droits ne soit pas la voie de passage vers l’établissement d’un cadre de vie publique qui rende impossibles les autres libertés proclamées par ces chartes ? » L’essayiste Claude Corbo pose la question en regard, par exemple, de l’attitude à prendre, chez nous, devant l’islamisme radical. Il le fait en analysant la tentative libérale, contrecarrée en 1898 par les évêques et les conservateurs, de créer un ministère québécois de l’Éducation. Pour en avoir un, il faudra attendre 1964 !
Ex-professeur de science politique et ancien recteur de l’UQAM, Corbo explique, dans L’échec de Félix-Gabriel Marchand, comment ce premier ministre libéral du Québec, en fonction de 1897 à 1900, provoqua le choc de deux visions du monde tout à fait incompatibles en tentant de remédier au retard que la province accusait sur l’Ontario en matière d’alphabétisation. Pour les adversaires du projet de loi innovateur, un contrôle de l’État sur l’instruction ne pouvait se faire qu’au détriment de celui de l’Église.
Pour faire comprendre au lectorat d’aujourd’hui la portée philosophique du débat, en apparence déchirant et même insoluble, l’essayiste a l’idée heureuse et hardie d’en donner, selon ses propres termes, « une interprétation en forme dramatique ». Inspiré de multiples documents d’époque, ce brillant théâtre d’idées suit un substantiel exposé des faits pour en dégager l’esprit qui échapperait à ceux que l’érudition de l’auteur ne pourrait qu’éblouir.
Corbo met sur les lèvres de l’intellectuel Thomas Chapais ces mots que le membre influent du Conseil législatif, chambre haute à majorité conservatrice, lance au progressiste Marchand, son adversaire : « Votre loi va finir par déchristianiser notre peuple. En mettant en place une école sans Dieu. » Le conservateur développe : « Nous serons de moins en moins Canadiens français. Nous allons devenir des Américains matérialistes et jouisseurs… Nous cesserons même de parler français. »
Les gens qui doutent
À cette tirade alarmiste qui fait du catholicisme l’essence de l’identité nationale, Marchand répond : « Quand on se croit l’émissaire de Dieu lui-même, on finit par massacrer ceux qui n’obéissent pas… J’aime mieux les gens qui doutent et qui cherchent, même en se trompant. Ils sont bien moins dangereux pour leurs semblables. » C’est la position du catholique éclairé, combien marginal à l’époque, que le premier ministre défend.
Grâce à un sens aigu de l’histoire, Corbo y reconnaît le signe avant-coureur de l’attitude laïque actuelle que des sceptiques et même des croyants ouverts voient comme nécessaire pour résister à l’intolérance latente d’une religion ou d’une idéologie areligieuse qui ne se veulent, à l’échelle humaine, rien de moins que des absolus. Loin de tout monolithisme, l’école québécoise devrait se fonder sur le droit au doute.
La montée en puissance du fondamentalisme religieux ravive des débats que les nations croyaient définitivement relégués à l’histoire