Des goyaves de cristaux liquides

« Twee-ki-ti-ki-twee-ki-ti-ki-twee-ki-ti-ki. » Paanwallah et Hilmu poussent leur chariot. Miracle de la technologie, le tintinnabulement du bolide de fortune émerge des haut-parleurs du iPad que tient entre ses mains le lecteur. Suffit, pour l’entendre, d’appuyer sur le bouton « play » inséré entre deux paragraphes.
Bienvenue dans Le vendeur de goyaves, premier roman immersif (une version en bon vieux papier est aussi disponible), du globe-trotter Ugo Monticone, ornementé de 174 éléments multimédias.
Ça veut dire quoi, concrètement ? Ça veut dire que lorsque notre protagoniste traverse la cohue du marché public d’Ahmedabad, une vidéo tournée par l’auteur au marché public d’Ahmedabad peut être visionnée.
Ça veut dire qu’une photo croquée au bas des 1800 marches du temple sacré de Palitana accompagne le chapitre où Hilmu amorce son ascension.
« Chaque 24 décembre, l’étoile la plus brillante du ciel, Sirius à l’est, est parfaitement alignée avec les trois étoiles de la ceinture d’Orion », explique depuis sa grotte un certain Anutthara. Quelques phrases plus bas, un onglet permet de « voir l’alignement de la ceinture d’Orion et de Sirius » grâce à un graphique interactif.
Et ainsi de suite.
Tous ces appendices enjolivent le voyage de Hilmu, vendeur de goyaves de 14 ans investi, pour des raisons qu’il tentera de comprendre, d’un don de guérisseur. Il croisera au cours de ses picaresques pérégrinations à travers l’Inde toute une kyrielle de personnages attendrissants et s’énamourera d’une lépreuse, avant de devenir contre son gré l’objet d’un culte.
Comme un making-of
Bien que la version immersive du Vendeur de goyaves ne pointe pas en direction d’une littérature du futur, comme l’ont claironné certains euphoriques collègues, l’entreprise ouvre des perspectives fécondes en ce qui concerne certains types de textes brouillant la frontière entre réalité et fiction. Si Le vendeur de goyaves n’a rien d’un récit de voyage traditionnel, il a néanmoins été écrit au terme d’un séjour de quatre mois en Inde. Les éléments multimédias qui jalonnent chaque chapitre tracent en une série de gloses photo et vidéo les grandes lignes du carnet de création de l’auteur, qui esquisse à même le livrel une sorte de making-of du roman.
Que l’histoire se déroule en territoire exotique (du point de vue du lecteur québécois) consolide certainement la pertinence de cette portion immersive. Un roman contemporain prenant pour décor Montréal justifierait plus difficilement de tels compléments. Monticone n’évite pas toujours le piège de la redondance. À quoi bon montrer une caverne et décrire une caverne ? Les images les plus soufflantes de l’Inde jaillissent de ses phrases pleines de tendresse, pas de ses photos.
« La seule chose qui est importante au fond, la seule et unique raison d’exister… c’est l’amour », dira Anutthara à Hulmi. Expérience immersive ou pas, l’important, c’est que le roman soit bon, pourrait-on ajouter en le paraphrasant.
Le vendeur de goyaves le serait davantage s’il n’était pas lesté d’une telle quantité d’aphorismes à saveur spirituelle. « Une fable inspirante », affirme sur son site Web l’auteur, qui cherche essentiellement à émouvoir en rappelant que la plénitude promise par la foi religieuse se trouve quelque part enfouie en nous.
Que les friands de citations édifiantes se réjouissent : ils n’auront qu’à caresser sur quelques boutons pour copier-coller sur Facebook leurs passages favoris.
Entre les falaises qui l’enserrent et les glaciers qui le dominent, Hilmu est fourmi. Il évolue tout au fond de la vallée même s’il a dépassé les trois mille mètres d’altitude. Rien n’y paraît à l’extérieur de lui, mais en lui rien n’est pareil.