Voir Wellfleet (Cape Cod) et mourir

Douze histoires de plage et une noyade. Le titre du recueil ne laisse présager qu’une seule mort. Elle hante pourtant le sable chaud de Wellfleet, Cape Cod, sur lequel chacun des treize auteurs dépose sa serviette.
Photo: Steve Heaslip Associated Press Douze histoires de plage et une noyade. Le titre du recueil ne laisse présager qu’une seule mort. Elle hante pourtant le sable chaud de Wellfleet, Cape Cod, sur lequel chacun des treize auteurs dépose sa serviette.

Deux belles paumées jasent au comptoir du bar d’un salon de quilles. Renarde et Tatoue, qu’elles s’appellent. La première page de Comme un corps gras dans une poêle de fonte n’est pas terminée que l’envie de crier au trait trop lourd gronde.

Puis surgissent ces quelques phrases, et c’est réglé, elles sont là devant nous, en chair, en os et en rides. Tour de magie. C’est gros, Renarde et Tatoue, mais chez Robin Aubert, ça fonctionne, ça se peut.

« Elles aimaient leurs noms. Les avaient changés en même temps au bureau du directeur de l’État civil. L’homme avait demandé : “Êtes-vous bien certaines de ce que vous faites ?” “Non, pis c’est un peu pour ça qu’on le fait”, avait répondu Renarde avec son affront habituel », écrit le poète et cinéaste bien connu, qui avance jusqu’au bord du précipice de la caricature, puis rétropédale juste assez pour que ne reste sur la page qu’un monde à la fois inédit et familier. L’évocation d’un tortionnaire aux techniques singulières, suavement surnomméCasanova de Plessisville, achève ce portrait pittoresque et doucement étrange, cousin d’André Forcier.

Lancées sur les traces d’un certain Ti-Jean Lévesque, nos Thelma et Louise des Bois-Francs devront déterrer le passé bien enfoui d’un écrivain loqueteux. Voyez-vous, vous aussi, le fantôme de Jack Kerouac ? Comment ne pas sourire à l’idée que le pape des beats ait élu des femmes lambda pour divulguer son secret le plus troublant ?

Douze histoires de plage et une noyade. Le titre du recueil ne laisse présager qu’une seule mort. Elle hante pourtant le sable chaud de Wellfleet, Cape Cod, sur lequel chacun des treize auteurs dépose sa serviette. La mort, c’est la barrette d’une autre reconnue par une femme gonflée d’espoir dans la salle de bain de son ancien amant (Reine de sel, d’Elsa Pépin). C’est l’issue inexorable d’un premier amour (Sam et Maria, de Michel Vézina). C’est la crainte qui condamneà l’avance une relation naissante (Le parc Belmont, de Stéphanie Pelletier).

Dans Des homards et des hommes, moment fort du livre, Annie Landreville se paie la gueule de la Faucheuse avec un mélange d’humour noir et de réelle gravité. Un pêcheur devrait-il avoir honte de faire fortune en vendant des crustacés engraissés à la chair humaine ?

Dernier coup de tête

 

Dire d’un recueil collectif qu’il part dans tous les sens tient presque du pléonasme. Le formalisme ludique de Madison Smartt Bell, écrivain américain qui se mesure pour la première fois à la langue de VLB, détonne néanmoins du parti pris pour un storytelling plus traditionnel qui anime le reste du livre. Difficile d’expliquer pourquoi Geneviève Drolet a cru bon révoquer, en une seule chute maladroite, toute la complexe puissance du désir qui faisait pulser sa nouvelle.

Au rayon des surprises, Michel-Olivier Gasse quitte avec grâce le Villeray de ses deux premiers livres (Du coeur à l’établi, De Rose à Rosa, Tête première) pour dévoiler une sensibilité aux éléments qu’il avait jusqu’ici gardée pour lui. Une tempête érode les terres et, du même coup, le coeur d’un homme désemparé, en deuil de la douceur de sa femme et de celle que lui procuraient les paradis artificiels. Chez Patrice Lessard, ici très Kafka at the Beach, une boîte au contenu mystérieux sabote la journée d’un vacancier moyen.

Sans tambour ni trompette, Douze histoires de plage et une noyadesonne la fin de la maison Coups de tête. « Faut que ça déménage, faut que ça rock, faut que ça arrache », déclarait Michel Vézina entre ces pages au moment de sa fondation en 2007. L’infatigable bourlingueur part faire rocker la littérature ailleurs, au volant de son camion-librairie ambulante Le Buvard.

Elle s’était battue à quelques reprises à la polyvalente et dans les bars louches du boulevard Bois-Francs. Elle grafignait, tirait les cheveux, mais cette fois-là, elle ne l’avait pas vue venir. Renarde savait pourtant se défendre, mais pas contre la hargne. Cette folle avait la rage au cœur. Des avant-bras originaires de la Beauce. Personne n’a de chance contre ça.

Douze histoires de plage et une noyade

Sous la direction de Michel Vézina et Marie-Chantal Gariépy, Coups de tête, Montréal, 2015, 300 pages



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