Des esclaves énergétiques?

Photo: Jacques Grenier Le Devoir

Il peut paraître saugrenu d’affirmer qu’à « l’ancienne énergie des esclaves humains » s’est substituée « une nouvelle forme de servitude, alimentée par les combustibles fossiles ». Voilà pourtant la thèse qu’Andrew Nikiforuk soutient avec brio dans L’énergie des esclaves. L’urgence morale de mettre fin au règne honteux du pétrole, le journaliste et essayiste canadien anglophone ne la compare qu’à celle, jadis, d’abolir l’esclavage.

En plus de s’appuyer sur la raison, ce parallèle frappe l’imagination comme au théâtre. D’ailleurs, le dramaturge québécois Dominic Champagne, sensible à la tragédie traitée dans le livre, signe la préface de l’édition française pour rappeler, à titre de militant environnementaliste, que la prospérité pétrolière « est un mirage » et que « notre monde carbure au poison même qui le mène à sa perte ».

Nikiforuk est conscient que « la plupart des gens ne voient pas le pétrole comme du carburant pour esclaves énergétiques ». Mais l’ère de l’or noir, commencée par l’exploitation industrielle de celui-ci aux États-Unis, dès la seconde moitié du XIXe siècle et illustrée par John D. Rockefeller, premier milliardaire de l’histoire, a permis aux Nord-Américains, explique-t-il, de succéder aux maîtres d’autrefois en rendant leurs esclaves invisibles.

S’affranchir

Par un colonialisme subtil qui s’est transformé en partenariat, sinon en concurrence, les États-Unis ont répandu à travers le monde, du Venezuela à l’Arabie saoudite, le forage pétrolier afin de satisfaire leurs besoins. Plus tard, le Canada s’est imposé sur la scène du capitalisme international grâce aux sables bitumineux de l’Alberta, ce succédané du pétrole conventionnel.

Inventée par l’architecte et philosophe américain Richard Buckminster Fuller en 1940, l’expression « esclave énergétique »permet à Nikiforuk de donner aux arguments scientifiques des écologistes une portée morale. Fuller estimait que le charbon et le pétrole avaient fourni 39 esclaves énergétiques à chaque citoyen des États-Unis. On imagine, extrapole l’essayiste canadien, à quel point les Nord-Américains actuels contribuent à la pollution atmosphérique, ne serait-ce que par la combustion de l’essence de leur auto.

En envisageant les problèmes de manière aussi générale, il en vient, à la lumière de savantes recherches, à douter qu’une utilisation massive des énergies éolienne et solaire puisse satisfaire l’appétit du capitalisme et ne pas causer des bouleversements climatiques, différents de ceux dont le pétrole est responsable mais inquiétants eux aussi. Nikiforuk s’inspire des traditions spirituelles de l’humanité pour proposer la seule solution à la crise écologique : l’exploitation des énergies, même des nouvelles, avec beaucoup de sobriété.

C’est dire qu’une vision du monde inédite devra révolutionner la vie de tous les jours.

On pourrait commencer par une méditation sur les mots de Léon Tolstoï : “ Vous parlez d’énergie ? Elle a pour base l’amour et l’amour ne se donne pas à volonté ”

L’énergie des esclaves. Le pétrole et la nouvelle servitude

Andrew Nikiforuk, traduit de l’anglais par Hugo Hardy, Écosociété, Montréal, 2015, 280 pages

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